“Les choses qui vous échappent ont plus d’importance que les choses que l’on possède.”
Qu’il soit bleu ou gris, étoilé ou rempli de nuages cotonneux, le ciel, lorsqu’on se perd dans sa contemplation, transporte toujours avec lui autant de réponses que d’interrogations nouvelles, autant d’invitations au voyage que de considérations matérielles. Allongée en planche dans l’océan, sur une plage enfin vidée de ses touristes, j’observais la chorégraphie des nuages, en battant légèrement les bras, le corps ondulant au rythme des vagues. Le matin même, sur le parcours de ma promenade quotidienne avec mon chien, un tapis de feuilles jaunes, fraîchement tombées d’un arbre, était venu me souffler à l’oreille qu’il était temps de réactiver l’option maîtresse d’école de mon cerveau. Une fois dans l’eau cependant, c’étaient mes écrits qui me revenaient. J’ai, en effet, réussi à tenir la promesse que je me suis faite en début d’été : celle de reprendre l’écriture, activité à très haut potentiel de bien-être chez moi. Je repensais à cette excuse de “projet” que j’avais donné aux gens pour justifier ma sédentarité estivale. De projet, je n’en avais alors aucun, et finalement, parce que j’avais ouvert ma grande bouche, je me suis forcée à trouver un truc et mes deux mois de vacances sont passés en un claquement de doigts, ou plutôt en un cliquetis de clavier, si je puis m’exprimer ainsi. Il me fallait quand même terminer mon texte avant de reprendre le chemin de l’école et je sentais, en regardant passer les mouettes, que quelque chose m’échappait encore. Comment fallait-il que se termine mon histoire ?
Il y a quelques jours, assise à mon bureau, je relisais, en diagonale, les derniers textes que j’ai publiés au fil de l’été. Juste à côté de mon ordinateur, sur mon carnet ouvert, la liste de tous mes personnages me servait d’aide-mémoire. De qui avais-je parlé ? Quelles histoires chacun d’entre eux avait-il vécues ? Comment leurs aventures servaient-elles le récit ? Quelles portes ne fallait-il pas que j’oublie de refermer ? J’avais une idée pour chacun d’entre eux. J’avais même visualisé, sous la forme d’un film projeté sur l’écran au fond de mon cerveau, les scènes de mes deux derniers épisodes. J’avais répété, à voix haute, certains dialogues. Je savais même sur quelles ouvertures j’allais conclure mon récit. Mais je ne parvenais pas à me lancer. Une force invisible empêchait mes doigts de commencer leur ballet enivrant, comme dans ces rêves où l’on n’arrive pas à courir parce que nos jambes pèsent des tonnes. En règle générale, rester coincée devant le curseur clignotant de mon traitement de texte ne fait qu’accentuer mes blocages, je me suis donc levée de ma chaise et j’ai parcouru des yeux ce nouveau bureau, dans lequel j’ai pris mes quartiers il y a quelques semaines. Je me suis approchée de la fenêtre, le ciel était couvert et les températures avaient chuté. La canicule des jours passés n’était déjà plus qu’un souvenir, bientôt, on ne pourrait plus sortir de la maison sans une couche supplémentaire. Sur le rebord de la fenêtre, mon avocatier avait besoin d’eau, je me suis penchée pour ramasser l’arrosoir et mon pied a cogné une pochette qui est tombée en lâchant son contenu sur le parquet. C’était le carton à dessins de M. Le Guen. Je l’avais rangé là, en rentrant l’autre jour, mais ne m’y étais pas encore attardée. J’ai rassemblé les feuilles épaisses en une pile approximative et les ai posées sur le lit d’appoint. J’ai levé les yeux vers l’aquarelle qu’il avait dessinée à mon intention. Celle-ci, je l’avais encadrée et accrochée, comme un miroir mélancolique dont la contemplation peut faire pleurer ou sourire en fonction de l’état dans lequel on se trouve. Je n’ai pas eu le temps de savoir quel effet cela aurait sur moi à ce moment-là car Yvan est apparu dans l’encadrement de la porte.
– Tu vas pas y aller habillée comme ça je suppose ?
– Aller où ?
– Ben l’apéro. Les voisins ? Ça te dit rien ?
Lorsque j’ai accepté l’invitation de Ute, nous avions plusieurs jours devant nous et comme d’habitude, le temps avait filé sans me le dire. Yvan a soupiré, s’est installé sur le lit, à côté des peintures de M. Le Guen, et a sorti son téléphone qui venait de signaler l’arrivée d’un message.
– C’est qui ?
Il a levé les yeux dans ma direction, a glissé son portable dans sa poche et a changé de sujet, comme s’il ne m’avait pas entendue:
– Alors ton texte ? Ça avance ? Tu publies quand ?
– Je sais pas. Je bugue. J’arrive pas à choisir ma fin.
– T’as qu’à demander à Chat GPT ! Vu ton bilan carbone de l’été, franchement, tu peux te le permettre tu sais !
Il a rigolé, s’est relevé et, après m’avoir embrassée distraitement sur le front, il a quitté mon bureau en me rappelant qu’on était attendus et qu’il me restait une demie heure pour me préparer.
– Je fais un saut chez le caviste. Histoire de pas arriver les mains vides. Dépêche-toi !
Je me suis quand même assise devant mon ordinateur, sa suggestion, bien qu’il l’ait faite au second degré, est restée en suspension dans l’air après son départ. T’as qu’à demander à Chat GPT… Un e-diable s’est posé sur mon épaule.
Est-ce que ce serait de la triche ?
Je ne sais même pas comment on utilise une IA.
Mais il suffirait que je cherche, ça ne doit pas être bien compliqué…
Par contre, il ne faudrait pas que je mentionne cette idée dans mon texte.
Pas de mise en abîme possible sur ce sujet-là.
Si je mentionne l’usage d’une IA, mes lecteurs pourraient questionner ma sincérité.
Je sèmerais le doute dans leur esprit…
Ils se demanderaient forcément si ce qu’ils sont en train de lire est le fruit de mon imagination ou celui d’une machine intelligente…
J’ai secoué la tête afin que s’évaporent le petit diable et ses idées farfelues puis j’ai fermé le clapet de mon ordinateur pour tuer momentanément cette possibilité. Il était temps de filer sous la douche. J’ai rencontré Bill et Ute avec du noir de cou, il était hors de question qu’on se dise aurevoir dans le même état. La dernière impression est celle qu’on emporte avec soi !
…
Lorsqu’elle a ouvert la porte, Ute m’a semblé fatiguée. Si je la connaissais depuis plus longtemps, je me serais probablement permis de prendre de ses nouvelles, mais notre amitié récente n’était pas propice à ce genre de questions. J’ai bien trop souvent demandé le terme de la grossesse à des femmes pas du tout enceintes ou fait remarquer à des collègues qu’elles avaient l’air malade juste parce qu’elles ne s’étaient pas maquillées. Depuis, je laisse venir. Surtout en début de relation. Malgré ses traits tirés, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire, encore une fois, qu’elle était sublime et, pour la première fois depuis que le couple a débarqué dans nos vies, j’ai jeté un œil vers Yvan pour essayer de voir si, lui aussi, la trouvait belle. Je n’ai pas pour habitude de lui signaler la présence de femmes canons, on n’est jamais trop prudent. Comme si il avait besoin de moi pour les repérer… Ute a désigné une affiche encadrée sur laquelle était imprimée une paire de chaussures barrées d’un trait rouge.
– Il faut retirer ses chaussures dans cette maison. Il y a tout un tas de petites règles affichées un peu partout. C’est rigolo.
Rigolo ? Elle trouvait ça rigolo ? J’ai posé ma paire de baskets sur l’étagère prévue à cet effet, avisé mes chaussettes de couleurs différentes, mais propres, et j’ai regardé autour de moi. Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en découvrant la maison de Régis. Ce con de Régis. Mais c’est encore pire que tout ce que j’aurais pu imaginer. Dans cette maison, il est interdit de manger dans le canapé, s’asseoir sur les coussins, utiliser la table sans une sous nappe en caoutchouc, mettre les doigts sur les vitres, ouvrir le frigo plus de quinze secondes ou laisser une fenêtre du rez de chaussée ouverte si on n’est pas dans la pièce. Toutes ces règles sont accrochées sur les murs, donnant à la maison des allures de bâtiment administratif. Heureusement, nos hôtes sont bien plus accueillants que cette maison, et nous avons fini par en rire ensemble. Je leur ai même raconté comment je m’étais sentie après leur avoir conseillé de ne pas se garer là, et en entendant que Régis avait, un jour, bloqué ma voiture pour me donner une leçon, Bill s’est demandé pourquoi il n’avait pas encore fait installer de panneau sur le trottoir pour privatiser la rue. Le sujet clos, nous avons tous les quatre discuté à bâtons rompus. Ils nous ont raconté leur vie en Allemagne, nous ont expliqué qu’ils avaient toujours adoré la France et c’est la raison pour laquelle ils parlent si bien notre langue. Ils nous ont initié à l’allemand et nous ont parlé de la richesse culturelle de la vie berlinoise. Je leur ai montré des photos de mes filles et Yvan leur a parlé de la sienne qu’il ne voit pas très souvent car elle vit dans le Pays Basque. Après plusieurs verres, Bill et Yvan sont sortis fumer une cigarette côté rue, car le jardin de Régis est non-fumeur. C’était la première fois que je me retrouvais vraiment seule avec Ute. Elle venait de lancer un album de Tony Bennet et a allumé des bougies en prenant bien soin de protéger toutes les surfaces environnantes d’éventuelles éclaboussures de cire. J’ai ouvert une des bouteilles de vin qu’Yvan avait choisies et lui ai servi un verre.
– Je ne devrais pas boire autant.
Elle m’a souri, mais a quand même attrapé le verre et l’a porté à ses lèvres.
– Tu as raison. Moi non plus. Quand les vacances sont terminées, j’arrête.
J’ai avalé une gorgée puis, en lui souriant j’ai ajouté:
– Enfin… Jusqu’aux prochaines.
Elle a vaguement ri puis, d’un air sérieux a repris:
– J’aimerais tellement y rester, en vacances… Pour retarder le retour à la réalité. Si je dis que je ne devrais pas boire, c’est pour des raisons de santé…
– Oh ?
– J’ai fait des analyses de sang avant de venir ici. J’ai reçu les résultats ce matin. Elles ne sont pas bonnes. Je vais devoir faire des tests en rentrant.
Ute, la saine Ute, la magnifique Ute, biovore et yogiste invétérée serait malade ? Loin de chez elle, c’est à moi, amie de fortune, qu’elle se confiait car elle n’avait pas osé appeler sa famille. Malgré son inquiétude tout à fait légitime, elle est restée droite et plutôt optimiste. Cette force apparente m’a soulevée de mon siège et je me suis retrouvée à ses côtés, et, ignorant la distance qui sied entre deux personnes qui viennent juste de se rencontrer, j’ai passé mon bras autour de ses épaules. L’étreinte a été fugace car le bruit de la porte d’entrée a annoncé le retour des gars. Je me suis relevée et, pour me donner une contenance, j’ai débarrassé les reliefs de la table avant de retourner à ma place.
– Ça va les filles ?
Comme s’il savait de quoi nous venions de parler, Bill s’est installé à côté de sa femme et l’a embrassée affectueusement sur la joue. J’ai regardé Yvan s’asseoir sur le fauteuil club et, alors qu’il m’interrogeait du regard, sentant bien l’émotion qui habitait la pièce, je lui ai souri, de ce sourire qui signifiait je te raconterai plus tard. À ce moment précis, son téléphone s’est allumé, et d’un geste rapide, par respect pour nos nouveaux amis, il l’a retourné, face contre table. Nous avons encore discuté longtemps et promis de garder le contact quand ils seraient rentrés chez eux.
…
L’histoire de Ute m’a empêchée de dormir, et ce n’est qu’au milieu de la nuit, à nouveau attablée devant mon bureau, que j’ai repensé à Yvan et à son téléphone. Avait-il délibérément refusé de me répondre lorsqu’il avait reçu son message en fin de journée ? Était-ce vraiment par politesse qu’il l’avait ensuite retourné sur la table ? J’avais beau y penser, je n’arrivais ni à me convaincre qu’il me cachait quelque chose ni que je me faisais des idées. De toute façon, il dormait comme un bienheureux, je l’entendais ronfler, juste à côté, dans notre chambre. Quelles que soient mes questions, je n’en aurais pas les réponses tout de suite. Mon esprit était embrumé par l’alcool et la fatigue, le curseur clignotait toujours sur mon écran désespérément blanc. Je me suis donc installée sur le lit et d’un œil distrait, j’ai commencé à regarder les dessins de M. Le Guen.
Le carton que j’ai récupéré en contient une bonne cinquantaine, de tailles et de formats différents. La plupart représentent des paysages. Toute une série de façades de maisons évoquant l’Europe du nord semble appartenir à la même ville mais je n’ai pas su identifier laquelle. Quand j’ai connu les Le Guen, ils étaient déjà en retraite et ce, depuis bien longtemps, mais en voyant ses peintures urbaines, je me suis souvenue qu’il avait été architecte. Quelques essais de portraits complètent la collection, mais visiblement, ce n’était pas son fort à M. Le Guen, les portraits. Je suis allée me préparer une infusion et pendant qu’elle refroidissait, je me suis perdue dans la contemplation de l’œuvre de mon prolifique ancien voisin. Il en peignait une par jour… C’est ce que m’avait dit sa femme. Une par jour pendant plus de dix ans ! Normal qu’elle ait eu envie de m’en filer quelques unes… Je les passais en revue, admirant le travail des ombres et la douceur caractéristique des couleurs de l’aquarelle. Tiens, c’est marrant, je l’ai pas déjà vue celle-ci ? Je me suis penchée pour admirer les détails de ce dessin. Il me semblait pourtant l’avoir déjà regardé. Sur la ligne d’horizon trois collines toutes rondes prenaient les derniers rayons du soleil. Le premier plan, couvert de dizaines de nuances de bleu, représentait un lac, ou peut-être une rivière, et entre les deux, on distinguait, à l’ombre des grands pins, une cabane en bois qui ne semblait accessible que par un ponton auquel était amarrée une petite barque rouge et blanche. J’ai repris la pile des peintures que j’avais déjà observées. Mais non, aucun dessin ne représentait le même paysage. D’où me venait donc cette impression ? Ce n’est qu’en continuant que j’ai compris quel était ce détail qui aurait pu passer inaperçu : sur une bonne moitié de ses dessins, de manière plus ou moins visible, apparaissaient les trois collines rondes.. Parfois en tout petit sur la ligne d’horizon, parfois au centre de la feuille, comme une signature ou un clin d’œil de l’auteur. C’est marrant ces tocs d’artistes. J’ai lu une fois que les artistes racontaient toujours la même histoire sous des habillages différents. Qu’ils réparaient sans cesse le même traumatisme. Je me suis demandée si j’avais moi aussi des tics d’écriture ou s’il y avait un point commun dans tout ce que j’avais pondu depuis l’adolescence. J’ai dû m’endormir sur cette question car quand je me suis réveillée le lendemain matin, j’étais toujours dans mon bureau. La joue collée à une des aquarelles sur laquelle j’avais dû baver car des traits verts ornaient ma joue.
…
Quelques jours plus tard, je suis allée jusqu’à la médiathèque, je voulais emprunter des ouvrages de conseils d’écriture et un livre sur la pédagogie de l’école dehors, pratique que je souhaite développer avec mes élèves. En descendant les marches du bâtiment, les bras chargés et alors que je consultais les horaires de bus sur mon téléphone, une voix familière m’a interpellée.
– Salut ! T’es chargée dis donc ! t’as dévalisé le rayon des romans à l’eau de rose ? Ahahaha !
C’était Flo. Elle était de retour du voyage entre filles. Elle reprenait le taf le lendemain et devait retrouver Emile pour déjeuner. Mais il pouvait bien attendre parce qu’il ne faut jamais éduquer les garçons en leur donnant l’impression qu’on est à leur service. J’ai levé les yeux au ciel. Ce que j’avais trouvé drôle si longtemps dans sa bouche ne m’amusait plus.
– Je suis désolée Flo, mais moi, j’ai pas trop le temps. J’ai mon bus qui devrait arriver d’une minute à l’autre.
Elle a fait comme si je n’avais rien dit et a continué en répondant à une question que je n’avais pas posée. Il n’y avait de place que pour mes répliques en italiques…
– Mon voyage était tellement décevant. Le lieu était paradisiaque mais, avec Jill, on n’a fait que se prendre la tête. C’est fini entre elle et moi…
– Oh…
– Ouais. Je sais pas si je suis faite pour les femmes finalement.
– Peut-être que…
– Mais remarque, les mecs, tu sais ce que j’en pense aussi.
Oui. On sait toutes ce que tu penses. Tout le temps…
– De toute façon, je fais une pause des relations sentimentales, là. J’ai des nouvelles idées pour l’agence.
– Ah…
Je ne te demande pas lesquelles. Tu vas enchaîner toute seule.
– Je vais proposer des immersions dans des communautés matriarcales. Ce serait pas mal. Une forme de tourisme éducatif pour femmes. Non ? Pour qu’elles arrêtent définitivement de penser que les mecs servent à quelque chose…
– Euh…
Féministe c’était pas suffisant. La misandrie maintenant… Je rêve !
– Je t’ai pas raconté d’ailleurs ? Jérôme ? Et bien…
Pauvre Jérôme. J’ai eu le temps de voir passer deux bus qu’elle était encore en train de monologuer. Je pensais à Émile qui devait poireauter à quelques rues de là. Je me demandais aussi si elle s’était rendu compte que deux trois onomatopées mises à part, elle n’avait pas encore entendu le son de ma voix. Je la regardais s’agiter comme si chacun de ses propos était un débat de la plus haute importance. Un débat unilatéral parce que son avis renfermait toutes les vérités du monde. Je n’arrivais pas à savoir si elle avait toujours été comme ça. Est-ce qu’elle avait changé ? Est-ce que c’était moi ?
– T’essaies de devenir influenceuse ?
Je ne sais pas depuis combien de temps j’avais cessé de l’écouter et je n’ai pas compris d’où venait cette question. Je l’ai regardé quelques secondes. Interrogative.
– Tes vidéos sur insta ? Tu m’écoutes pas ou quoi ?
– Si si bien-sûr. Quoi mes vidéos ?
– Je les ai vues. C’est pour quoi ?
Elle ne s’intéressait tellement pas à ma vie qu’elle ignorait que mes vidéos ne servaient qu’à promouvoir mes textes. C’était comme si on ne se connaissait plus. Comme si elle était un de mes contacts sur les réseaux, quelqu’un dont on Iike les photos par habitude ou pour montrer qu’on existe toujours mais dont la vie, finalement, ne nous intéresse pas. Elle ne savait même pas que j’avais repris l’écriture. Comment notre amitié s’était-elle délitée au point qu’elle ne sache pas à quoi je remplissais mes journées ? Elle qui m’avait tellement soutenue, encouragée, aimée. Pendant des années, on n’avait rien vécu sans le dire à l’autre. On avait écouté les mêmes musiques, lu les mêmes livres. On nous voyait rarement l’une sans l’autre et personne mieux qu’elle ne pouvait lire dans mes pensées.
Assise dans le bus qui me ramenait chez moi, j’ai réalisé que je n’étais pas triste. Je me suis dit que toutes les amitiés n’étaient pas faites pour durer toute la vie. Ça n’enlève rien à ce qu’on a jadis partagé, mais j’ai compris, en appuyant sur le bouton rouge qui sert à prévenir le chauffeur, que c’en était terminé avec elle. Elle allait peu à peu devenir une connaissance de mon passé. Arrêt demandé.
Lorsque je suis arrivée dans ma rue, le véhicule de location de Bill et Ute n’était plus là. Les volets de la maison de Régis étaient clos, il ne tarderait malheureusement pas à revenir. Il ignorerait toutefois que j’avais renversé un verre de blanc sur son parquet et cette idée me fit sourire. La parenthèse se refermait doucement. J’ai poussé un soupir et suis rentrée chez moi. J’ai posé mon lourd panier et suis entrée dans la cuisine. Yvan prenait sa douche, la porte de la salle de bain était fermée. Je me suis dirigée vers le frigo et me suis servi un grand verre d’eau agrémenté de jus de citron. Au moment où je l’ai porté à mes lèvres, j’ai aperçu le téléphone de mon mec, posé sur l’étagère de la cuisine. Il était en charge. L’eau de la douche coulait toujours. Le visage de mon petit diable était en train de se matérialiser dans mon esprit, il commençait son argumentaire.
Tu as le temps. Il est toujours nu dans la salle de bain.
Et puis, il en saura rien. Il ne peut pas souffrir de ce qu’il ignore.
À quoi ça sert qu’il te donne son code de téléphone si tu ne peux pas t’en servir ?
J’ai posé mon verre et secoué la tête. Moi non plus je ne pouvais pas souffrir de ce que j’ignorais. J’étais quand même encore en train de débattre avec ma mauvaise conscience quand Yvan est arrivé, les cheveux encore mouillés.
– Elle était bonne cette douche ?
– Oui. T’aurais pu me rejoindre. Encore trop courtes ces vacances. J’ai pas tellement envie de reprendre le taf.
– Oui. je comprends. Et j’ai ajouté, comme pour moi-même: toutes les bonnes choses ont une fin.
à suivre.