• Carnet de (non) voyage – épisode 7


    “Les choses qui vous échappent ont plus d’importance que les choses que l’on possède.”

         Qu’il soit bleu ou gris, étoilé ou rempli de nuages cotonneux, le ciel, lorsqu’on se perd dans sa contemplation, transporte toujours avec lui autant de réponses que d’interrogations nouvelles, autant d’invitations au voyage que de considérations matérielles. Allongée en planche dans l’océan, sur une plage enfin vidée de ses touristes, j’observais la chorégraphie des nuages, en battant légèrement les bras, le corps ondulant au rythme des vagues. Le matin même, sur le parcours de ma promenade quotidienne avec mon chien, un tapis de feuilles jaunes, fraîchement tombées d’un arbre, était venu me souffler à l’oreille qu’il était temps de réactiver l’option maîtresse d’école de mon cerveau. Une fois dans l’eau cependant, c’étaient mes écrits qui me revenaient. J’ai, en effet, réussi à tenir la promesse que je me suis faite en début d’été : celle de reprendre l’écriture, activité à très haut potentiel de bien-être chez moi. Je repensais à cette excuse de “projet” que j’avais donné aux gens pour justifier ma sédentarité estivale. De projet, je n’en avais alors aucun, et finalement, parce que j’avais ouvert ma grande bouche, je me suis forcée à trouver un truc et mes deux mois de vacances sont passés en un claquement de doigts, ou plutôt en un cliquetis de clavier, si je puis m’exprimer ainsi. Il me fallait quand même terminer mon texte avant de reprendre le chemin de l’école et je sentais, en regardant passer les mouettes, que quelque chose m’échappait encore. Comment fallait-il que se termine mon histoire ?

         Il y a quelques jours, assise à mon bureau, je relisais, en diagonale, les derniers textes que j’ai publiés au fil de l’été. Juste à côté de mon ordinateur, sur mon carnet ouvert, la liste de tous mes personnages me servait d’aide-mémoire. De qui avais-je parlé ? Quelles histoires chacun d’entre eux avait-il vécues ? Comment leurs aventures servaient-elles le récit ? Quelles portes ne fallait-il pas que j’oublie de refermer ? J’avais une idée pour chacun d’entre eux. J’avais même visualisé, sous la forme d’un film projeté sur l’écran au fond de mon cerveau, les scènes de mes deux derniers épisodes. J’avais répété, à voix haute, certains dialogues. Je savais même sur quelles ouvertures j’allais conclure mon récit. Mais je ne parvenais pas à me lancer. Une force invisible empêchait mes doigts de commencer leur ballet enivrant, comme dans ces rêves où l’on n’arrive pas à courir parce que nos jambes pèsent des tonnes. En règle générale, rester coincée devant le curseur clignotant de mon traitement de texte ne fait qu’accentuer mes blocages, je me suis donc levée de ma chaise et j’ai parcouru des yeux ce nouveau bureau, dans lequel j’ai pris mes quartiers il y a quelques semaines. Je me suis approchée de la fenêtre, le ciel était couvert et les températures avaient chuté. La canicule des jours passés n’était déjà plus qu’un souvenir, bientôt, on ne pourrait plus sortir de la maison sans une couche supplémentaire. Sur le rebord de la fenêtre, mon avocatier avait besoin d’eau, je me suis penchée pour ramasser l’arrosoir et mon pied a cogné une pochette qui est tombée en lâchant son contenu sur le parquet. C’était le carton à dessins de M. Le Guen. Je l’avais rangé là, en rentrant l’autre jour, mais ne m’y étais pas encore attardée. J’ai rassemblé les feuilles épaisses en une pile approximative et les ai posées sur le lit d’appoint. J’ai levé les yeux vers l’aquarelle qu’il avait dessinée à mon intention. Celle-ci, je l’avais encadrée et accrochée, comme un miroir mélancolique dont la contemplation peut faire pleurer ou sourire en fonction de l’état dans lequel on se trouve. Je n’ai pas eu le temps de savoir quel effet cela aurait sur moi à ce moment-là car Yvan est apparu dans l’encadrement de la porte.

    – Tu vas pas y aller habillée comme ça je suppose ?

    – Aller où ?

    – Ben l’apéro. Les voisins ? Ça te dit rien ?

         Lorsque j’ai accepté l’invitation de Ute, nous avions plusieurs jours devant nous et comme d’habitude, le temps avait filé sans me le dire. Yvan a soupiré, s’est installé sur le lit, à côté des peintures de M. Le Guen, et a sorti son téléphone qui venait de signaler l’arrivée d’un message. 

    – C’est qui ?

         Il a levé les yeux dans ma direction, a glissé son portable dans sa poche et a changé de sujet, comme s’il ne m’avait pas entendue:

    – Alors ton texte ? Ça avance ? Tu publies quand ?

    – Je sais pas. Je bugue. J’arrive pas à choisir ma fin.

    – T’as qu’à demander à Chat GPT ! Vu ton bilan carbone de l’été, franchement, tu peux te le permettre tu sais !

         Il a rigolé, s’est relevé et, après m’avoir embrassée distraitement sur le front, il a quitté mon bureau en me rappelant qu’on était attendus et qu’il me restait une demie heure pour me préparer.

    – Je fais un saut chez le caviste. Histoire de pas arriver les mains vides. Dépêche-toi !

         Je me suis quand même assise devant mon ordinateur, sa suggestion, bien qu’il l’ait faite au second degré, est restée en suspension dans l’air après son départ. T’as qu’à demander à Chat GPT… Un e-diable s’est posé sur mon épaule. 

    Est-ce que ce serait de la triche ? 

    Je ne sais même pas comment on utilise une IA. 

    Mais il suffirait que je cherche, ça ne doit pas être bien compliqué… 

    Par contre, il ne faudrait pas que je mentionne cette idée dans mon texte. 

    Pas de mise en abîme possible sur ce sujet-là. 

    Si je mentionne l’usage d’une IA, mes lecteurs pourraient questionner ma sincérité. 

    Je sèmerais le doute dans leur esprit… 

    Ils se demanderaient forcément si ce qu’ils sont en train de lire est le fruit de mon imagination ou celui d’une machine intelligente… 

         J’ai secoué la tête afin que s’évaporent le petit diable et ses idées farfelues puis j’ai fermé le clapet de mon ordinateur pour tuer momentanément cette possibilité. Il était temps de filer sous la douche. J’ai rencontré Bill et Ute avec du noir de cou, il était hors de question qu’on se dise aurevoir dans le même état. La dernière impression est celle qu’on emporte avec soi !

         Lorsqu’elle a ouvert la porte, Ute m’a semblé fatiguée. Si je la connaissais depuis plus longtemps, je me serais probablement permis de prendre de ses nouvelles, mais notre amitié récente n’était pas propice à ce genre de questions. J’ai bien trop souvent demandé le terme de la grossesse à des femmes pas du tout enceintes ou fait remarquer à des collègues qu’elles avaient l’air malade juste parce qu’elles ne s’étaient pas maquillées. Depuis, je laisse venir. Surtout en début de relation. Malgré ses traits tirés, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire, encore une fois, qu’elle était sublime et, pour la première fois depuis que le couple a débarqué dans nos vies, j’ai jeté un œil vers Yvan pour essayer de voir si, lui aussi, la trouvait belle. Je n’ai pas pour habitude de lui signaler la présence de femmes canons, on n’est jamais trop prudent. Comme si il avait besoin de moi pour les repérer…  Ute a désigné une affiche encadrée sur laquelle était imprimée une paire de chaussures barrées d’un trait rouge. 

    – Il faut retirer ses chaussures dans cette maison. Il y a tout un tas de petites règles affichées un peu partout. C’est rigolo.

         Rigolo ? Elle trouvait ça rigolo ? J’ai posé ma paire de baskets sur l’étagère prévue à cet effet, avisé mes chaussettes de couleurs différentes, mais propres, et j’ai regardé autour de moi. Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en découvrant la maison de Régis. Ce con de Régis. Mais c’est encore pire que tout ce que j’aurais pu imaginer. Dans cette maison, il est interdit de manger dans le canapé, s’asseoir sur les coussins, utiliser la table sans une sous nappe en caoutchouc, mettre les doigts sur les vitres, ouvrir le frigo plus de quinze secondes ou laisser une fenêtre du rez de chaussée ouverte si on n’est pas dans la pièce. Toutes ces règles sont accrochées sur les murs, donnant à la maison des allures de bâtiment administratif. Heureusement, nos hôtes sont bien plus accueillants que cette maison, et nous avons fini par en rire ensemble. Je leur ai même raconté comment je m’étais sentie après leur avoir conseillé de ne pas se garer là, et en entendant que Régis avait, un jour, bloqué ma voiture pour me donner une leçon, Bill s’est demandé pourquoi il n’avait pas encore fait installer de panneau sur le trottoir pour privatiser la rue. Le sujet clos, nous avons tous les quatre discuté à bâtons rompus. Ils nous ont raconté leur vie en Allemagne, nous ont expliqué qu’ils avaient toujours adoré la France et c’est la raison pour laquelle ils parlent si bien notre langue. Ils nous ont initié à l’allemand et nous ont parlé de la richesse culturelle de la vie berlinoise. Je leur ai montré des photos de mes filles et Yvan leur a parlé de la sienne qu’il ne voit pas très souvent car elle vit dans le Pays Basque. Après plusieurs verres, Bill et Yvan sont sortis fumer une cigarette côté rue, car le jardin de Régis est non-fumeur. C’était la première fois que je me retrouvais vraiment seule avec Ute. Elle venait de lancer un album de Tony Bennet et a allumé des bougies en prenant bien soin de protéger toutes les surfaces environnantes d’éventuelles éclaboussures de cire. J’ai ouvert une des bouteilles de vin qu’Yvan avait choisies et lui ai servi un verre.

    – Je ne devrais pas boire autant.

         Elle m’a souri, mais a quand même attrapé le verre et l’a porté à ses lèvres.

    – Tu as raison. Moi non plus. Quand les vacances sont terminées, j’arrête.

         J’ai avalé une gorgée puis, en lui souriant j’ai ajouté:

    – Enfin… Jusqu’aux prochaines.

         Elle a vaguement ri puis, d’un air sérieux a repris:

    – J’aimerais tellement y rester, en vacances… Pour retarder le retour à la réalité. Si je dis que je ne devrais pas boire, c’est pour des raisons de santé…

    – Oh ?

    – J’ai fait des analyses de sang avant de venir ici. J’ai reçu les résultats ce matin. Elles ne sont pas bonnes. Je vais devoir faire des tests en rentrant.

         Ute, la saine Ute, la magnifique  Ute, biovore et yogiste invétérée serait malade ? Loin de chez elle, c’est à moi, amie de fortune, qu’elle se confiait car elle n’avait pas osé appeler sa famille. Malgré son inquiétude tout à fait légitime, elle est restée droite et plutôt optimiste. Cette force apparente m’a soulevée de mon siège et je me suis retrouvée à ses côtés, et, ignorant la distance qui sied entre deux personnes qui viennent juste de se rencontrer, j’ai passé mon bras autour de ses épaules. L’étreinte a été fugace car le bruit de la porte d’entrée a annoncé le retour des gars. Je me suis relevée et, pour me donner une contenance, j’ai débarrassé les reliefs de la table avant de retourner à ma place.

    – Ça va les filles ?

         Comme s’il savait de quoi nous venions de parler, Bill s’est installé à côté de sa femme et l’a embrassée affectueusement sur la joue. J’ai regardé Yvan s’asseoir sur le fauteuil club et, alors qu’il m’interrogeait du regard, sentant bien l’émotion qui habitait la pièce, je lui ai souri, de ce sourire qui signifiait je te raconterai plus tard. À ce moment précis, son téléphone s’est allumé, et d’un geste rapide, par respect pour nos nouveaux amis, il l’a retourné, face contre table. Nous avons encore discuté longtemps et promis de garder le contact quand ils seraient rentrés chez eux. 

          L’histoire de Ute m’a empêchée de dormir, et ce n’est qu’au milieu de la nuit, à nouveau attablée devant mon bureau, que j’ai repensé à Yvan et à son téléphone. Avait-il délibérément refusé de me répondre lorsqu’il avait reçu son message en fin de journée ? Était-ce vraiment par politesse qu’il l’avait ensuite retourné sur la table ? J’avais beau y penser, je n’arrivais ni à me convaincre qu’il me cachait quelque chose ni que je me faisais des idées. De toute façon, il dormait comme un bienheureux, je l’entendais ronfler, juste à côté, dans notre chambre. Quelles que soient mes questions, je n’en aurais pas les réponses tout de suite. Mon esprit était embrumé par l’alcool et la fatigue, le curseur clignotait toujours sur mon écran désespérément blanc. Je me suis donc installée sur le lit et d’un œil distrait, j’ai commencé à regarder les dessins de M. Le Guen. 

         Le carton que j’ai récupéré en contient une bonne cinquantaine, de tailles et de formats différents. La plupart représentent des paysages. Toute une série de façades de maisons évoquant l’Europe du nord semble appartenir à la même ville mais je n’ai pas su identifier laquelle. Quand j’ai connu les Le Guen, ils étaient déjà en retraite et ce, depuis bien longtemps, mais en voyant ses peintures urbaines, je me suis souvenue qu’il avait été architecte. Quelques essais de portraits complètent la collection, mais visiblement, ce n’était pas son fort à M. Le Guen, les portraits. Je suis allée me préparer une infusion et pendant qu’elle refroidissait, je me suis perdue dans la contemplation de l’œuvre de mon prolifique ancien voisin. Il en peignait une par jour… C’est ce que m’avait dit sa femme. Une par jour pendant plus de dix ans ! Normal qu’elle ait eu envie de m’en filer quelques unes… Je les passais en revue, admirant le travail des ombres et la douceur caractéristique des couleurs de l’aquarelle. Tiens, c’est marrant, je l’ai pas déjà vue celle-ci ? Je me suis penchée pour admirer les détails de ce dessin. Il me semblait pourtant l’avoir déjà regardé. Sur la ligne d’horizon trois collines toutes rondes prenaient les derniers rayons du soleil. Le premier plan, couvert de dizaines de nuances de bleu, représentait un lac, ou peut-être une rivière, et entre les deux, on distinguait, à l’ombre des grands pins, une cabane en bois qui ne semblait accessible que par un ponton auquel était amarrée une petite barque rouge et blanche. J’ai repris la pile des peintures que j’avais déjà observées. Mais non, aucun dessin ne représentait le même paysage. D’où me venait donc cette impression ? Ce n’est qu’en continuant que j’ai compris quel était ce détail qui aurait pu passer inaperçu :  sur une bonne moitié de ses dessins, de manière plus ou moins visible, apparaissaient les trois collines rondes.. Parfois en tout petit sur la ligne d’horizon, parfois au centre de la feuille, comme une signature ou un clin d’œil de l’auteur. C’est marrant ces tocs d’artistes. J’ai lu une fois que les artistes racontaient toujours la même histoire sous des habillages différents. Qu’ils réparaient sans cesse le même traumatisme. Je me suis demandée si j’avais moi aussi des tics d’écriture ou s’il y avait un point commun dans tout ce que j’avais pondu depuis l’adolescence. J’ai dû m’endormir sur cette question car quand je me suis réveillée le lendemain matin, j’étais toujours dans mon bureau. La joue collée à une des aquarelles sur laquelle j’avais dû baver car des traits verts ornaient ma joue. 

         Quelques jours plus tard, je suis allée jusqu’à la médiathèque, je voulais emprunter des ouvrages de conseils d’écriture et un livre sur la pédagogie de l’école dehors, pratique que je souhaite développer avec mes élèves.  En descendant les marches du bâtiment, les bras chargés et alors que je consultais les horaires de bus sur mon téléphone, une voix  familière m’a interpellée.

    – Salut ! T’es chargée dis donc ! t’as dévalisé le rayon des romans à l’eau de rose ? Ahahaha !

         C’était Flo. Elle était de retour du voyage entre filles. Elle reprenait le taf le lendemain et devait retrouver Emile pour déjeuner. Mais il pouvait bien attendre parce qu’il ne faut jamais éduquer les garçons en leur donnant l’impression qu’on est à leur service. J’ai levé les yeux au ciel. Ce que j’avais trouvé drôle si longtemps dans sa bouche ne m’amusait plus. 

    – Je suis désolée Flo, mais moi, j’ai pas trop le temps. J’ai mon bus qui devrait arriver d’une minute à l’autre.

         Elle a fait comme si je n’avais rien dit et a continué en répondant à une question que je n’avais pas posée. Il n’y avait de place que pour mes répliques en italiques…

    – Mon voyage était tellement décevant. Le lieu était paradisiaque mais, avec Jill, on n’a fait que se prendre la tête. C’est fini entre elle et moi…

    – Oh… 

    – Ouais. Je sais pas si je suis faite pour les femmes finalement.

    – Peut-être que…

    – Mais remarque, les mecs, tu sais ce que j’en pense aussi. 

    Oui. On sait toutes ce que tu penses. Tout le temps… 

    – De toute façon, je fais une pause des relations sentimentales, là. J’ai des nouvelles idées pour l’agence.

    – Ah… 

    Je ne te demande pas lesquelles. Tu vas enchaîner toute seule.

    – Je vais proposer des immersions dans des communautés matriarcales. Ce serait pas mal. Une forme de tourisme éducatif pour femmes. Non ? Pour qu’elles arrêtent définitivement de penser que les mecs servent à quelque chose…

    – Euh… 

    Féministe c’était pas suffisant. La misandrie maintenant… Je rêve !

    – Je t’ai pas raconté d’ailleurs ? Jérôme ? Et bien… 

         Pauvre Jérôme. J’ai eu le temps de voir passer deux bus qu’elle était encore en train de monologuer. Je pensais à Émile qui devait poireauter à quelques rues de là. Je me demandais aussi si elle s’était rendu compte que deux trois onomatopées mises à part, elle n’avait pas encore entendu le son de ma voix. Je la regardais s’agiter comme si chacun de ses propos était un débat de la plus haute importance. Un débat unilatéral parce que son avis renfermait toutes les vérités du monde. Je n’arrivais pas à savoir si elle avait toujours été comme ça. Est-ce qu’elle avait changé ? Est-ce que c’était moi ?

    – T’essaies de devenir influenceuse ?

         Je ne sais pas depuis combien de temps j’avais cessé de l’écouter et je n’ai pas compris d’où venait cette question. Je l’ai regardé quelques secondes. Interrogative. 

    – Tes vidéos sur insta ? Tu m’écoutes pas ou quoi ?

    – Si si bien-sûr. Quoi mes vidéos ?

    – Je les ai vues. C’est pour quoi ? 

         Elle ne s’intéressait tellement pas à ma vie qu’elle ignorait que mes vidéos ne servaient qu’à promouvoir mes textes. C’était comme si on ne se connaissait plus. Comme si elle était un de mes contacts sur les réseaux, quelqu’un dont on Iike les photos par habitude ou pour montrer qu’on existe toujours mais dont la vie, finalement, ne nous intéresse pas. Elle ne savait même pas que j’avais repris l’écriture. Comment notre amitié s’était-elle délitée au point qu’elle ne sache pas à quoi je remplissais mes journées ? Elle qui m’avait tellement soutenue, encouragée, aimée. Pendant des années, on n’avait rien vécu sans le dire à l’autre. On avait écouté les mêmes musiques, lu les mêmes livres. On nous voyait rarement l’une sans l’autre et personne mieux qu’elle ne pouvait lire dans mes pensées. 

         Assise dans le bus qui me ramenait chez moi, j’ai réalisé que je n’étais pas triste. Je me suis dit que toutes les amitiés n’étaient pas faites pour durer toute la vie. Ça n’enlève rien à ce qu’on a jadis partagé, mais j’ai compris, en appuyant sur le bouton rouge qui sert à prévenir le chauffeur, que c’en était terminé avec elle. Elle allait peu à peu devenir une connaissance de mon passé. Arrêt demandé.

         Lorsque je suis arrivée dans ma rue, le véhicule de location de Bill et Ute n’était plus là. Les volets de la maison de Régis étaient clos,  il ne tarderait malheureusement pas à revenir. Il ignorerait toutefois que j’avais renversé un verre de blanc sur son parquet et cette idée me fit sourire. La parenthèse se refermait doucement. J’ai poussé un soupir et suis rentrée chez moi. J’ai posé mon lourd panier et suis entrée dans la cuisine.  Yvan prenait sa douche, la porte de la salle de bain était fermée. Je me suis dirigée vers le frigo et me suis servi un grand verre d’eau agrémenté de jus de citron. Au moment où je l’ai porté à mes lèvres, j’ai aperçu le téléphone de mon mec, posé sur l’étagère de la cuisine. Il était en charge. L’eau de la douche coulait toujours. Le visage de mon petit diable était en train de se matérialiser dans mon esprit, il commençait son argumentaire.

    Tu as le temps. Il est toujours nu dans la salle de bain.

    Et puis, il en saura rien. Il ne peut pas souffrir de ce qu’il ignore.

    À quoi ça sert qu’il te donne son code de téléphone si tu ne peux pas t’en servir ?

         J’ai posé mon verre et secoué la tête. Moi non plus je ne pouvais pas souffrir de ce que j’ignorais. J’étais quand même encore en train de débattre avec ma mauvaise conscience quand Yvan est arrivé, les cheveux encore mouillés. 

    – Elle était bonne cette douche ?

    – Oui. T’aurais pu me rejoindre. Encore trop courtes ces vacances. J’ai pas tellement envie de reprendre le taf.

    – Oui. je comprends. Et j’ai ajouté, comme pour moi-même: toutes les bonnes choses ont une fin.

     

    à suivre.

     

  • Carnet de (non) voyage – épisode 6


    “Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une”

         Vous est-il déjà arrivé de ressentir ce vertige en pensant aux différents Vous du passé ? Vous arrive-t-il d’être troublé ? Perdu dans cette impression paradoxale que ces Vous sont d’autres personnes que vous avez vaguement connues? Je me souviens comme si c’était hier d’événements très vieux. Des expériences vécues, des pensées qui m’ont traversée, des conversations avec les personnages de mon existence. J’ai parfois du mal à concevoir la continuité entre tous les Moi qui ont jalonné ma route jusqu’à aujourd’hui. Pour autant, je n’ai jamais imaginé que je pouvais avoir une deuxième vie. J’ai la sensation d’en avoir toujours puisé toute la moelle et prendre conscience de ma mortalité n’a rien changé à cette soif. Il m’arrive, et c’est sans doute un défaut de langage, de parler de mon “ancienne vie” lorsque j’évoque les années que j’ai partagées avec Antoine. Ce n’était pas une autre vie. C’était ma vie. La même. C’était le même livre. J’en étais juste quelques chapitres plus tôt. Ce sujet a beaucoup occupé mon esprit cette semaine et ma conclusion, c’est que je préfère plutôt parler du premier jour du reste de sa vie. Cette conception me plait davantage car elle offre la possibilité d’avoir un nombre incalculable de premiers jours du reste de sa vie. À chaque nouvel apprentissage en fait. On a tout le temps le pouvoir de ré-orienter son trajet. Je me suis rappelée d’un de ces moments récemment et c’est en lisant le journal que ça a commencé.

    – Mais maman ! C’est quoi ces nouvelles lunettes ? On dirait une grand-mère ! 

         Installée sur la terrasse, un café dans la main, le journal étalé sur la table, je profitais de la quiétude de ce matin d’août. Depuis le départ de Régis et de ses outils à énergie fossile, les petits-déjeuners dans le jardin ont repris tout leur intérêt. La remarque de Joséphine sur mes loupes de presbyte, achetées quinze balles chez l’opticien, était donc, ce matin-là, ma seule mouche du coche. J’ai balayé son commentaire d’un hochement de tête, elle m’a embrassée en souriant – ça va je rigole-, s’est servi un café puis s’est assise dans la balancelle. Une fois son casque ajusté sur les oreilles, son pouce a entamé une chorégraphie lente mais régulière, offrant à ses yeux tout juste ouverts, le défilé de vidéos de son compte Tik-tok. Tik-tok, par je ne sais quel prestige, a réussi à faire croire aux ado qu’il était le seul fournisseur d’informations valable, détrônant Wikipédia ou notre meilleur ami Google, celui que nous, les darons, citons encore quand on veut vérifier quelque chose. Dans la bouche de Joséphine, une phrase sur deux contient “je l’ai vu sur tik-tok”. Maman, on devrait essayer cette recette que j’ai vue sur tik-tok. Ça ? Mais c’est une trend sur Tik-tok ! Tu sais qu’un nouveau pont va relier la Sicile à l’Italie ? Je l’ai vu sur Tik-tok. C’est comme si à elle seule, l’application résumait tous les internets… En l’observant, zombifiée devant son écran, j’ai eu hâte qu’elle retourne au lycée pour reprendre le cours normal de son existence. Mais, je me suis aussitôt rappelée que ça voulait dire que, moi-aussi, je devrais reprendre le cours normal de la mienne et l’idée a provoqué une micro dépression de quelques secondes que j’ai soignée en parcourant des yeux la verdure alentour. Même si certaines espèces commencent déjà à décliner à cette époque de l’année, le décor luxuriant de mon jardin nous offre encore cette bulle d’intimité qui nous cache du regard des passants, me faisant souvent oublier que je vis en ville. J’ai inspiré lentement par le nez, soufflé tout aussi lentement par la bouche et après trois cycles de respiration, j’étais à nouveau détendue, en vacances, à mille lieues de mes CE2. Mes loupes sur le nez donc, j’ai repris mon journal. Les vacances d’été sont le seul moment de l’année où je prends le temps de le lire du début à la fin. De l’édito au portrait de la quatrième, de l’actu mondiale à la fête à la sardine du bled d’à côté, tout y passe. J’en étais à la nécro quand une voix m’a interpellée: Cachée derrière la vigne qui domine la clôture, Ute me saluait.

    – Coucou ! Y a quelqu’un ?

         En quelques secondes, j’étais sur le trottoir, ce même trottoir où je l’ai rencontrée la première fois, il y a déjà plus de trois semaines. Je n’étais pas plus élégante que ce jour-là et elle, bien qu’elle portait un casque de cycliste, l’était toujours autant. Quelque chose avait changé cependant. Ma jalousie superficielle avait disparu. Nous avions, depuis, franchi cette frontière de l’apparence et de la première impression. Moins complexée, j’étais néanmoins toujours aussi fascinée par sa grâce et par l’harmonie parfaite des traits de son visage.

    – On rentre bientôt à Berlin. On voudrait vous inviter à dîner avant de partir. 

         Cette phrase était lourde de sens. Non seulement cela signifiait que Régis n’allait pas tarder à reprendre possession de la rue, mais cela fit, instantanément, réapparaître le visage de mes élèves, tout autour de Ute. Cela dit, l’invitation était charmante. Nous avons donc fixé la date à vendredi prochain. Je l’ai regardée enfourcher son vélo et quand elle a tourné au coin de la rue, je suis allée me replonger dans la page des obsèques.

         Le soir tombait et sur la place, un guitariste, assis contre la façade d’une vieille maison à pans de bois, faisait la manche en proposant des reprises des standards de jazz. Il était plutôt doué et aurait pu remplir son chapeau assez vite si la chaleur n’avait pas envoyé les touristes sur les plages. J’habite une ville que l’on visite les jours de bruine ou pour les événements culturels. D’ailleurs, depuis que les comédiens ont remballé leurs costumes et toute leur magie, la ville me semble toute triste. Le festival étant terminé, Yvan a pris quelques jours. L’édition de cette année a été un vrai succès. La presse a été plus qu’élogieuse, tant sur la qualité des spectacles que sur l’organisation générale de l’événement. Assise en face d’Yvan, à la terrasse d’un restaurant qui donne sur le parvis où seul un couple d’amoureux marchait main dans la main, j’avais du mal à me dire que quelques jours plus tôt, des centaines de spectateurs avaient ri, pleuré, dansé ou rêvé au rythme des pièces qui s’étaient jouées là, en plein air. Je venais d’entamer une diatribe contre le théâtre codifié des scènes nationales au profit de celui de la rue, tellement plus riche, plus vivant et plus libre quand le serveur est arrivé, une bouteille de Pinot gris à la main.

    – Monsieur ? Je vous fais goûter le vin ?

         Il était sur le point de verser quelques gouttes dans le verre d’Yvan, puisqu’il est bien connu que les hommes goûtent mieux le vin que les femmes, quand Yvan l’a arrêté, agacé par cette convention machiste:

    – Non, non. C’est Madame qui teste.

         Bien que totalement incapable de discerner un grand cru d’un petit vin de table, j’ai fait tourner mon verre d’une main experte en souriant à mon mec. C’était plus pour avoir l’air de m’y connaître que pour aérer le breuvage et ça le faisait rire à chaque fois. De toute façon, je l’aurai avalé, même avec un léger goût de bouchon parce que jamais je n’oserais renvoyer un vin dégueulasse. Je préfère mon propre embarras à celui que je pourrais provoquer chez quelqu’un d’autre. Le serveur a souri poliment, nous a servi tous les deux et a filé vers une autre table. 

    – Tu te souviens de M. Le Guen ?

         Lorsque je vivais avec Antoine et les filles, nous avions pour voisins le couple Le Guen. Ils avaient déjà plus de soixante-dix à l’époque. Et malgré cette génération d’écart entre nous, nous avions développé une sorte de relation amicale teintée d’une distance pudique qui témoignait du respect mutuel que nous avions les uns pour les autres. Nous avions été capables d’entraide, partagé des goûters à l’occasion, et avec M. Le Guen, passionné de jardin, nous nous échangions des graines et des boutures. Je ne les avais pas revus depuis le jour où j’avais quitté notre maison, mais sa femme et moi on avait continué à s’écrire de temps en temps. S’écrire. Avec un crayon et du papier. À l’ancienne. Elle disait qu’à son âge, il était trop tard pour se mettre à l’informatique et elle aimait tellement écrire à la plume que ç’aurait été dommage de se priver d’un tel plaisir. Pour les fêtes, aux changements de saisons ou lorsqu’elle partait en vacances, elle sortait son papier à lettre ou achetait une jolie carte postale à mon intention. 

    – M. Le Guen ? Le frappadingue qui s’était caché dans la cabane des filles le jour de ton déménagement ?

    – Oui. Celui-là. Et bien, il est mort. J’ai lu ça dans le journal ce matin. Y a ses funérailles jeudi.

    – Tu vas y aller ?

    – J’y ai réfléchi toute la journée et je crois que j’ai besoin d’y aller. Oui.

         Sur ces paroles, Yvan a levé son verre et nous avons trinqué à M. Le Guen. Lorsque nous sommes rentrés à la maison quelques heures plus tard et alors qu’Yvan essayait de reproduire à la guitare, Autumn leaves, l’un des morceaux du type qui faisait la manche devant le resto, j’ai attrapé mon carnet pour y rédiger la liste des trucs farfelus qu’avait fait M. le Guen quand j’étais sa voisine : se déguiser en épouvantail pour faire fuir les merles de son potager, se balader dans la rue en peignoir et chapeau haut de forme, chanter des chansons paillardes sur le perron de sa maison… Et puis, inévitablement, m’est revenue en mémoire sa dernière partie de cache-cache, le jour de mon déménagement. Ce jeu dans lequel j’avais été embarquée malgré moi…  Se cacher, c’était une de ses activités préférées et Mme Le Guen le trouvait toujours en quelques minutes. Pas ce jour-là. 

         Notre maison, celle qu’Antoine, les filles et moi avions habitée, venait d’être vendue. Nous étions sur le point de partir pour signer chez le notaire et notre voisine cherchait son mari en vain. C’est Joséphine qui l’avait retrouvé dans sa cabane, perchée dans un arbre du jardin. Je n’avais plus repensé à ce moment depuis bien longtemps. Si longtemps que je ne parvenais plus à savoir si je l’avais vécu ou si mon cerveau l’avait inventé de toutes pièces. Alors que j’étais montée dans la cabane pour le faire descendre, M. Le Guen m’avait prise pour sa mère m’offrant symboliquement la possibilité de dire au revoir à mon petit garçon disparu bien trop tôt et dont la mort prématurée m’avait reliée à Antoine trop longtemps et pour de mauvaises raisons. C’était grâce à M. Le Guen que j’avais pu partir le cœur plus léger. M. Le Guen, le frappadingue, avait, en quelque sorte, ouvert la porte du reste de ma vie et m’avait encouragée à poursuivre le chemin, en laissant mes chaînes sur le bas-côté.  

         J’ai passé la nuit suivante avec mes fantômes. J’ai bercé Roméo au creux de mes bras, je me suis promenée au parc Barbieux avec mon grand-père, j’ai longuement échangé avec ma tante… Mon esprit a convoqué, tour à tour, tous mes absents. Chaque nouvelle mort me fait toujours cet effet-là. Plus on vieillit, plus le nombre de nos disparus augmente et plus longtemps durent ces rendez-vous. 

         Jeudi dernier, je me suis préparée à partir pour l’église. J’ai enfilé une robe noire de circonstance, me suis attachée les cheveux en un chignon simple, j’ai chaussé mes lunettes de soleil et au moment de quitter la maison, Yvan m’a arrêtée: 

    – T’es sûre que tu ne veux pas que je t’accompagne ? 

         J’étais sûre. Il l’a compris en me regardant et n’a pas insisté. M. Le Guen, Roméo… Tout ça, c’était ma vie d’avant. Et ces adieux, je n’avais besoin de personne pour les faire correctement. La canicule s’est installée sur tout le pays et pour éviter d’arriver en nage, j’ai décidé de prendre les transports en commun. Assise sous l’abribus, je regardais la rue déjà brûlante alors qu’il était à peine dix heures. Aucun nuage ne traversait le ciel, fait assez rare dans notre région pour être souligné, et des volutes de chaleur s’évaporaient du goudron. J’étais en train de me dire qu’il était plus facile pour les vivants de perdre un être cher par beau temps plutôt qu’un jour de pluie. Mieux valait mourir à la belle saison qu’un sombre lundi de novembre. Le travail de deuil doit être plus facile quand le monde est rempli de couleurs. J’allais sortir mon carnet pour noter cette idée quand mon téléphone a vibré. C’était Flo qui m’envoyait un SMS. 

    Salut. J’ai un désistement pour un voyage entre
    meufs la semaine prochaine.
    Quatre jours à Barcelone.
    Je te mets sur la liste.
    Prépare tes affaires.

         

         Ce n’était pas une question. Elle avait décidé pour moi. Elle l’avait toujours fait, passant outre mon avis. Pendant de longues années, je l’avais laissé faire parce que c’était confortable de se laisser embarquer et ses arguments étaient toujours convaincants : ce resto est incroyable. Nan, je préfère carrément cette plage. J’ai trop envie de voir ce film, je nous ai pris des places. Et quand j’étais encore avec Antoine, elle m’offrait les moments de liberté dont j’avais besoin et des alibis quand ils étaient nécessaires. Seulement, depuis quelques années, je me sens envahie par ses désirs et ses injonctions. Je lui ai donc répondu que je n’étais pas dispo, qu’avec Yvan, nous avions des trucs de prévus et que, de toute façon, je consacrais mon été à l’écriture. Tu le saurais si tu m’écoutais d’ailleurs… J’ai lancé mon téléphone au fond de mon sac et me suis engouffrée dans le bus. J’avais plus important à faire que de me prendre la tête avec quelqu’un. Arrivée devant l’église, Flo n’était déjà même plus un souvenir.

         J’ai souvent imaginé mes propres funérailles. C’est quand même hyper frustrant de ne pouvoir y assister et d’engranger, avant le grand départ, un maximum d’amour : regarder couler les larmes des gens qui nous ont réellement aimés, entendre les morceaux qui ont ponctué nos vies, écouter les souvenirs qu’on ignorait partager avec certains… Ça ferait du bien aux morts de partir, l’égo gonflé à bloc. Si M. Le Guen était présent à ses obsèques, il a eu de quoi partir heureux. C’est ce que j’ai raconté à Yvan en rentrant quand il m’a demandé comment s’était passée la cérémonie.

    – L’assemblée n’était pas très importante mais, ceux qui étaient là avaient des tas d’anecdotes à raconter. 

    – Tu connaissais sa famille ?

    – Non. Juste sa femme. Ils n’ont jamais eu d’enfants. Je le savais depuis longtemps, ça. Elle m’a invitée à prendre un café chez elle. Je vais y aller cette semaine. Elle a quelque chose à me donner apparemment.

    – Tu sais ce que ça peut être ?

         Je n’en avais aucune idée. J’ai quelque chose pour vous. C’est tout ce qu’elle m’avait dit. 

          Cette route, je l’ai empruntée des centaines de fois. Peut-être même des milliers. Il y a une époque où je la connaissais si bien que j’aurais pu la parcourir les yeux fermés. Si conduire les yeux fermés n’était pas si dangereux, évidemment…  Bien qu’il soit à quelques kilomètres de ma nouvelle adresse, je ne suis jamais retournée dans le quartier où nous vivions avec les filles et Antoine. Je n’ai jamais eu envie de revoir ma maison, parce que ce n’était plus ma maison justement et que je préférais l’imaginer toujours la même, sans aucune trace des aménagements qu’auraient pu y faire les propriétaires suivants. C’est pour ça que j’ai pris une rue adjacente pour rejoindre la maison des Le Guen. Nous étions voisins par le jardin, je pouvais tout à fait aller chez eux sans avoir à regarder mon passé. Pourtant lorsque je me suis garée, mon cœur s’est serré. La magnifique roseraie de M. Le Guen que j’admirais si souvent avait déjà perdu de sa superbe. Les fleurs fanées n’avaient pas été retirées des arbustes et les rejets poussaient de manière anarchique en dehors des plates-bandes prévues à cet effet. La porte en bois, arrondie et surmontée d’une arche de pierre, typique des maisons du coin, me rappelait toujours l’entrée d’une maisonnette de conte de fées. À droite du seuil, la sculpture d’un crapaud a coassé. J’ai souri et attrapé le heurtoir pour signaler ma présence à Mme Le Guen. Affaiblie, mais souriante, elle est apparue, le dos bien droit, sa canne dans la main gauche.

    – Bienvenue ma chère. Je suis bien contente de vous voir ici.

         Même si nous n’avions jamais eu de contact physique, un élan que je ne saurais expliquer m’a poussée vers elle. Je l’ai saisie par les épaules et l’ai serrée longuement dans mes bras. Elle était si frêle que j’aurais pu la casser. C’est quand je me suis fait cette remarque que je l’ai enfin lâchée. Mon attitude inédite aurait pu la déranger mais elle m’a souri et nous sommes entrées chez elle. Ce n’était plus que chez elle désormais et cette idée ne me quittait pas. Pourtant, c’était comme si M. Le Guen était toujours là. Ses sabots étaient posés sur le tapis devant la porte qui menait au garage et je m’attendais à le voir les enfiler pour aller cueillir des légumes dans son potager. Mes yeux se sont embrumés. Mme Le Guen a vu mon regard sur les bottes.

    – Vous savez ma chère, il a eu une belle vie. Bien remplie. C’était un homme charmant et il n’aimerait pas qu’on le pleure trop longtemps. 

         J’ai frotté rapidement mes yeux, plutôt mal à l’aise. Nan, mais c’est pas elle qui va te consoler non plus ? Ressaisis-toi bordel ! Change de sujet…

    – Asseyez-vous ici, je vais vous apporter du thé. 

    – Non, je ne vais pas m’asseoir pendant que vous me préparez du thé. Je viens avec vous et vous me donnez les consignes. 

         Malgré la saison, la cuisine sentait la soupe. Sur la table, un bouquet de fleurs méritait d’être jeté. J’ai tiré une des chaises et Mme Le Guen s’y est installée. Pendant que l’eau chauffait dans une casserole, j’ai attrapé le bouquet.

    – Où souhaitez-vous le jeter ?

    – Le compost au fond du jardin mon petit. Mais vous n’avez pas à faire ça vous savez. 

         Je suis passée de Ma chère à Mon petit… J’ai posé le bouquet sur la terrasse, je le jetterai plus tard, au moment de partir. 

    – Tenez mon petit, ouvrez donc ce tiroir là, sous la cafetière. C’est là qu’il y a votre enveloppe. Je ne savais pas trop à qui elle était destinée mais c’est quand je vous ai vue l’autre jour que j’ai compris.

         J’ai obéi à mon ancienne voisine et ouvert le tiroir. À l’intérieur, des effets personnels que j’ai imaginés appartenir à son mari :  une paire de lunettes, un pilulier encore plein, un petit carnet à dessin, une boîte de couleurs et une enveloppe A4 que j’ai sortie en prenant garde de ne pas la plier. Au centre, était inscrit, d’une écriture tremblante : Pour ma maman, cachée en haut de l’arbre. Le nœud dans ma gorge est alors revenu, et c’est les mains moites que j’ai ouvert l’enveloppe. J’ai fait glisser la feuille de papier épais qui s’y trouvait pour y découvrir un dessin à l’aquarelle. Un dessin de ce lieu que je ne voulais pas revoir mais qui, visiblement, comptait autant pour moi que pour lui : la cabane de mon ancien jardin. Cette fois, je n’ai pas essayé de retenir mes larmes et c’est avec une force insoupçonnée que Mme Le Guen est venue me serrer dans ses bras.

    – Ça va aller mon petit.

         Mon petit… 

    – Je suis plus grande que vous je vous signale.

         Ma dernière remarque a mis fin à l’étreinte et nous avons ri toutes les deux de bon cœur. Le thé était prêt et nous l’avons dégusté en se remémorant nos souvenirs communs. Je l’ai surtout écoutée me parler de son mari. Sa voix était calme et aucun sanglot ne perturbait son récit. Ça devait être ça la sagesse. Accepter qu’un jour le livre se referme. 

    – Cette aquarelle, là, sur le mur, c’est aussi M. Le Guen qui l’a peinte ?

    – Oui bien-sûr. Ces dix dernières années, il en peignait une par jour. D’ailleurs, vous voyez le carton à dessins, là dans le couloir ? Il en contient une bonne partie. Vous pouvez les prendre si ça vous intéresse.

         Quand j’ai pris congé de Mme Le Guen, j’avais les bras chargés: en plus des aquarelles, elle avait insisté pour que j’emporte une cagette de légumes et un châle qu’elle avait tricoté. J’ai posé mon enveloppe sur le siège passager parce que ce bien était évidemment plus précieux que les autres. Je lui ai promis de revenir bientôt et, une fois le moteur en marche, j’ai tourné à gauche, et me suis arrêtée quelques minutes devant mon ancienne maison. À travers la végétation, j’ai aperçu la cabane qui avait été repeinte. Ce n’était plus notre cabane, je n’en étais plus la propriétaire depuis des années et les jeux d’autres enfants avaient probablement remplacé ceux de mes filles. Ce n’était plus notre cabane mais elle possédait une partie de nous, une partie de notre histoire. Les lieux que l’on quitte gardent pour toujours une empreinte de tous ceux qui les ont traversés. Je n’avais plus envie de pleurer. La dernière fois que j’étais montée dans cet arbre, j’y avais salué mon fils. Ce jour-là, c’est à M. Le Guen que j’ai fait mes adieux. Puis, sans demander mon reste, j’ai redémarré ma voiture en me récitant cette phrase de Somerset Maugham… “Les choses qui vous échappent ont plus d’importance que les choses que l’on possède.”

     

    à suivre…

     

  • Carnet de (non) voyage – épisode 5


    “L’âme humaine puise sa substance dans des expériences inédites”

     

         Ne pas parler à n’importe qui. Se méfier des gens qui ne sont pas “propres sur eux”. Éviter les situations dangereuses. Ne jamais prendre de risques inconsidérés. Ne surtout pas traîner dehors une fois la nuit tombée. J’ai grandi dans un bain de craintes plus ou moins justifiées et de mises en garde incessantes. Mon père a toujours eu peur qu’il arrive quelque chose à ses filles. Le monde était une jungle dans laquelle il était préférable de vivre à couvert :  rien de mauvais ne peut arriver, à condition de rester à l’abri dans son nid.

         Bien-sûr, en grandissant je me suis affranchie de toutes ces injonctions à la prudence. Comme tout ado, j’ai tenté des trucs que je n’avouerai jamais à mon père. Pourtant, depuis que je suis moi-même un parent, les craintes paternelles sont devenues miennes et je ne compte plus les nuits d’angoisse à l’idée qu’il arrive quelque chose à mes filles ou même à moi, les laissant prématurément, orpheline de leur maman. Je suis devenue tout ce que mon homologue de quinze ans détestait : une adulte coincée dans des idées préconçues sur la vie et une peur déraisonnable à l’idée que tout puisse s’arrêter d’un coup. Mais je crois que cette semaine, l’univers m’a filé un coup de coude. J’ai vécu une sorte de prise de conscience, une leçon de sagesse dont il faut absolument que je fasse quelque chose…

    – Et ton avion ? Il décolle à quelle heure ?

    – On devrait pas tarder à embarquer là.

    – Et le vol, il dure combien de temps ? Une fois sur place, vous allez circuler comment ? Vous avez prévu un taxi ? C’est quoi déjà l’adresse de ton airbnb ? Et…

    – Maman ! Ça va, je suis grande. Je te rappelle que quand t’avais mon âge, t’étais déjà presque maman. Et puis, je suis pas toute seule, Ingrid est avec moi. Et je traverse pas la planète, je te signale.

         Louise, dans l’écran de mon téléphone, avait beau essayer de me rassurer, j’étais flippée. Contrairement à moi, elle adore voyager. Je suis assez contente qu’elle ne me ressemble pas sur ce point. Les voyages forment la jeunesse et avant, rien ne m’intéressait plus que de partir loin de chez moi. Avec Ingrid, elles ont eu le droit de prendre quelques jours pendant la saison pour aller souffler un peu. Elles sont parties jeudi dernier pour Porto. C’est clairement pas le bout du monde, elle a raison. Il fallait que j’arrête de me prendre la tête.

    – Tu fais quoi là, maman ? T’es en train de te maquiller ? Tu sors ce soir ? Je suis pas sûre pour la couleur de ton rouge à lèvres, c’est pas très discret, on va voir que ça…

         Mon téléphone était calé entre le robinet et le porte-savon. J’ai suivi son conseil en retirant la couche de rouge corail que j’avais généreusement étalée sur ma bouche.

    – Oui, c’est l’ouverture du festival de théâtre. Y a la soirée des partenaires. Je rejoins Yvan tout à l’heure.

    – Ah oui ! C’est vrai… J’ai eu Émile ce matin. On s’est laissé des vocaux. Tu vas voir Flo du coup.

         Flo tient une agence de voyages. Mécène du festival depuis ses débuts, elle veille particulièrement au respect de la parité de genre dans la programmation. Elle s’est même pris la tête avec Yvan le mois dernier parce qu’il n’y avait pas assez de femmes dans l’équipe technique. Yvan a bien essayé de lui expliquer qu’il avait fait son possible, et que malheureusement, ce sont des métiers qui sont encore trop genrés, elle lui avait raccroché au nez en le traitant de macho. Il y aurait, au fil de la semaine, plus d’artistes femmes que d’hommes sur scène, ce qui était déjà une belle réussite, mais ça ne lui suffisait pas. Son exagération m’avait agacée. Je n’avais donc pas super envie de la croiser, ni ce soir, ni dans les jours à venir.

    – Ça y est, on va embarquer Maman. Je te laisse. Je te fais des gros bisous. Amuse-toi bien surtout.

    – OK. Bon vol ma chérie. N’oublie pas de…

    – De t’écrire dès que j’atterris. Et de te dire quand je suis arrivée au logement. Tu sais quoi, je vais te partager ma localisation. Tu pourras regarder où je suis à tout moment. Ça te va ?

         Pendant un court instant, j’ai eu la vision de ma mère qui, dans les années quatre-vingt-dix, était parfaitement inconsciente de tous les traquenards dans lesquels je me fourrais. Je me suis ensuite rappelée, qu’en effet, à l’âge de Louise, j’allais devenir mère et qu’en aucun cas, la mienne ne savait ce que je faisais de ma vie, hormis une fois tous les six mois, quand me prenait l’idée de lui téléphoner. Et encore, elle ne savait que ce que je voulais bien lui raconter. De quel droit, est-ce que je demandais à ma fille de me tenir informée, en temps réel, de ce qu’elle faisait et du lieu où elle se trouvait ? Mais bon, après tout, c’est elle qui me proposait. J’ai rien demandé, moi…

    – Oui, d’accord, je veux bien. Et comment je fais pour regarder ?

    – Dans tes SMS maman, je t’ai déjà montré ! Allez bisous.

    – Bis…

         Je n’ai pas eu le temps de terminer, elle avait coupé la visio. J’ai ouvert mon dressing en quête d’une tenue élégante mais décontractée. Ma combinaison rouge était parfaite mais ne masquait pas mon petit bide à bière. Mon bustier avec le décolleté en dentelle aurait été du plus bel effet, s’il ne laissait pas apparaître mon bourrelet du dos. Pendant un quart de seconde, je me suis dit qu’il serait peut-être préférable pour ma silhouette que je me remette à fumer, mais ma raison a repris le dessus et m’a rappelé qu’il valait mieux un peu de gras que les quintes de toux du matin. J’ai attrapé une chemise ample, un pantalon large et j’ai repris mon tube de rouge. Louise a raison, on n’allait voir que ça, ça ferait diversion.

    – Bonsoir Madame. C’est au troisième étage sur votre droite. Si besoin, vous avez un ascenseur par ici. Bonne soirée Madame.

    Madame. Je t’en foutrais des “Madame”.

    – Merci Beaucoup. Bonne soirée également.

    Je boirai un verre à ta santé pendant que tu feras le pied de grue derrière ton comptoir. Gamine ! Un ascenseur… Nan mais, elle se fout de ma gueule ou quoi ?

         En arrivant au troisième, j’ai attendu d’avoir repris mon souffle pour prendre à droite et faire mon entrée. La salle était bondée de gens guindés et coincés dans leurs costumes de pingouin. Un groupe de ventripotents squattait le buffet et, comme dans tous les lieux où la bouffe est à volonté, ils se goinfraient. Allez Dudley, un douzième petit four, il y a encore un peu de place là, en haut à droite de ton estomac…  À les regarder, serrés dans leurs vestes, j’ai presque regretté ma combi rouge. Un peu plus loin, un chef d’entreprise d’une soixantaine d’années et  dont la renommée a largement dépassé les frontières de la région, tripotait une fille qui avait l’âge d’être sa fille. Dommage qu’on ne soit pas à un concert de Coldplay. A quelques pas de la scène, l’équipe de la mairie, toutes dents dehors, serrait des mains à tour de bras. On sait que vous êtes juste là pour gagner des voix, bande de guignols . Quand il y a trop de phrases en italique dans ma tête, il faut que je trouve une occupation, conseil de ma thérapeute. Je me suis donc mise à chercher le bar des yeux quand j’ai aperçu Émile qui trifouillait une enceinte à côté du buffet.

    – Coucou Emile ! Louise m’a bien dit que je te verrai là.

    – Hey ! Salut.

         Ce môme, je le connais depuis qu’il tient à peine debout. C’est une sorte de neveu pour moi. Et la façon dont il m’a attrapée pour me dire bonjour prouve bien que c’est un sentiment partagé.

    – J’aime pas trop te voir traîner près du buffet. Pas de blague hein ! Pas de biscuits rigolos. Tous ces hommes d’affaires là, ils risqueraient de devenir drôles !

    – T’inquiète ! Je gaspillerai pas. Promis ! T’en veux d’ailleurs ?

    – Nan merci. J’ai passé l’âge. Si tu m’avais vue le lendemain du feu d’artifice…  On m’appelle Madame maintenant, tu sais.

    – Qui ose faire ça ? Tu veux que j’aille leur défoncer la gueule ?

    – La dernière en date, je crois que tu préférerais lui demander son numéro que de lui régler son compte, crois-moi !

    – Au fait, t’as croisé ma mère ?

         Émile ne sait évidemment pas que sa mère me tape un peu sur le système depuis quelque temps. J’ai donc hoché la tête sans faire de commentaire particulier.

    – Elle devrait pas tarder alors, elle m’a dit qu’elle venait avec Gilles, son nouveau crush. C’est leur première sortie en public !  Bon, je file, je dois vérifier que tout est OK pour le show de tout à l’heure. Bisous Madame !

         Gilles ? Flo qui, depuis sa séparation avec Jérôme, ne fréquente que des trentenaires, a l’air d’avoir choisi un mec plus vieux qu’elle cette fois. Gilles… Si ça se trouve c’est un de ces types à cravate ? J’ai attrapé une coupe de champagne sur la table nappée. Sur un écran, tendu devant la scène au fond de la salle, on pouvait voir, en temps réel, les animations qu’il y avait en ville. Yvan est arrivé derrière moi juste avant que je n’entre en conflit avec mon cerveau qui allait recommencer à critiquer en écriture penchée.

    – T’as trouvé le bar, on dirait…

         Il m’a souri et m’a embrassé pudiquement. Ce n’était ni le lieu ni le moment pour une grosse pelle.

    – Tout se passe comme tu veux ?

    – Oui, c’est parfait. Toutes les personnalités qu’on attendait sont là. Les gens ont l’air content. Donc je suis content. T’as vu, les voisins sont là aussi. C’est chouette.

         Il m’a désigné Bill et Ute qui, installés à un mange-debout, observaient avec attention un type en queue de pie qui leur montrait quelque chose. J’étais trop loin pour voir de quoi il s’agissait. Yvan a dû comprendre mon interrogation car il a enchaîné:

    – C’est un magicien. On l’a embauché pour faire du close-up pendant la soirée. Il est plutôt doué, tu devrais peut-être te laisser embarquer ?  Bon, je dois te laisser, c’est l’heure des discours. À tout à l’heure.

         Les discours ! Il était hors de question que j’assiste à ce déballage de sourires hypocrites et d’auto congratulation indécente, j’ai donc pris une petite poignée de cacahuètes et suis sortie par la baie vitrée pour rejoindre le toit terrasse qui domine une des artères principales du festival. Les rues étaient bondées, une clameur joyeuse arrivait jusqu’à moi. J’avais hâte de descendre rejoindre le petit peuple. À gauche, sur le mur de la cathédrale, des danseurs suspendus virevoltaient au son d’un orchestre situé en dessous d’eux. Au loin, de l’autre côté de la rivière, un chapiteau immense avait été dressé, une longue file patientait devant. Le spectacle qui s’y jouait devait avoir bonne réputation pour qu’il y ait autant de monde. J’ai ramassé un programme sur la table devant moi pour en connaître le titre mais un éclat de rire tonitruant m’a fait lever les yeux. À quelques mètres, Flo et une jeune femme d’environ notre âge, vague sosie de Demi Moore période Ghost, riaient aux éclats. Même si, en ce moment, elle m’inspire beaucoup de sentiments mitigés, Flo est toujours ma copine, je me suis donc avancée vers elle. Son nouveau crush ne devait pas être encore arrivé.

    – Coucou ! Alors ? On s’amuse bien ?

    – Salut toi ! Ça fait un bail que je t’ai pas vue ! T’hibernes ? Tu fais la gueule ? Ou alors ton mec te séquestre ?

    Elle a ri à sa propre blague, a saisi la main de Demi et a repris :

    – Je te présente Jill.

         Elle a ponctué sa phrase par une caresse sur la joue de Demi Jill qui, en retour, l’a embrassée sur la bouche. Putain ! Merci Émile… Jill ! C’était Jill et pas Gilles ! J’ai fait mien chacun des combats woke bien avant que le terme n’apparaisse dans les médias, mais quand même, il aurait pu me prévenir ce sale gosse !  Depuis l’année dernière, Flo spécialise son agence dans l’organisation de voyages réservés aux femmes. C’est comme ça qu’elle a rencontré Jill. Pour chacune, c’est la première fois avec une femme et elles semblent ravies de la découverte. Leur joie était communicative mais quand Flo, particulièrement prolixe sur le sujet, a commencé à parler de trucs que Jill faisait avec sa langue, j’ai eu une pensée pour Hortense et, heureusement, c’est à ce moment-là que sont apparus Bill et Ute. L’occasion était trop belle.

    – Désolée, les filles, j’aperçois des amis que je dois aller saluer. Bonne soirée. On s’appelle !

         Bill et Ute étaient devenus des amis et j’avais balancé un “on s’appelle” totalement fake et hypocrite. À ce moment précis, Socrate était à des dizaines d’années lumière. Ce n’est que plus tard dans la soirée, lorsque je me suis enfin retrouvée seule, à recharger ma batterie sociale, assise sur mon banc préféré au bord de la rivière, que m’est revenue cette phrase d’Into the wild que j’avais entendue avec Joséphine. Louise à Porto, Bill et Ute qui viennent de Berlin, Flo qui essaie les meufs… Tous, autour de moi, ont l’air de se nourrir d’expériences inédites. Avant de me coucher ce soir-là, j’ai relu la citation que j’avais, évidemment, recopiée dans mon carnet. Mon âme, enfermée dans son cocon, pouvait-elle encore puiser quelque chose ? Grandir ? Je ne le savais pas encore mais le lendemain, j’allais prendre un nouveau coup pied au cul.

    – Donc, c’est une version moderne de Roméo et Juliette, c’est ça ?

    – Oui, un genre de comédie musicale Steampunk. Il y a toutes sortes d’artistes sur scène: chanteurs, musiciens, acrobates… Je n’ai encore rien vu mais c’est LE spectacle à ne pas rater sur cette édition apparemment.

         Yvan et moi attendions devant le grand chapiteau des quais. Tout autour, les gens étaient surexcités. La foule était dense, un labyrinthe avait été organisé pour faciliter l’accès au chapiteau. De chaque côté des barrières, des installations en bois et en métal rouillé traînaient en une sorte de bordel esthétique, donnant au lieu une ambiance à mi-chemin entre Mad Max et le Sherlock Holmes de Guy Ritchie. Je trouvais ça étrange qu’ils n’aient pas encore tout rangé alors que les spectateurs s’apprêtaient à entrer. Je me suis penchée vers Yvan pour lui faire la remarque discrètement quand un sifflement, suivi d’un bruit sec, a frôlé mes oreilles, je me suis retournée aussitôt pour voir de quoi il s’agissait quand j’ai aperçu un poignard planté dans un des vieux poteaux de bois qui n’avaient pas été rangés.

    – Ils sont malades ! T’as vu ? J’ai failli me faire tuer, tu le crois, ça ?

         Un rire, de ceux que produisent les méchantes dans les contes de fées, a résonné au-dessus de la foule. Assise sur une vieille cantine en métal, la “méchante”, une magnifique créature rousse, vêtue d’une longue robe à manches lanternes surmontée d’un corset de cuir, félicitait le gars qui avait, manifestement, réussi à ne tuer personne lors de son lancer. Mais qu’est-ce que… Je n’ai pas eu le temps d’aller au bout de mes pensées, juste derrière eux, un type, vêtu lui, d’une longue redingote marron, apprenait à un adolescent aux yeux cernés de noir, à cracher du feu, à deux doigts de la foule. C’est quand j’en ai vu un autre, en train de faire l’équilibre un peu plus loin sur un empilement de boîtes en bois, au milieu des spectateurs, que j’ai enfin compris qu’ils n’étaient pas juste des dingues complètement bourrés qui faisaient n’importe quoi pour faire les malins. Dans la file d’attente, le spectacle avait déjà commencé…

         Sous le chapiteau, les lanternes et la fumée envahissaient la scène.  Des cages, des cordages et des tentures sombres terminaient de poser le décor de l’histoire qui allait se jouer là. Comme l’ensemble des gens autour de moi, je n’avais pas assez de mes deux yeux pour tout admirer. Je n’étais plus au bord de la rivière, je n’étais plus dans ma ville, je n’étais même plus sûre d’être encore sur ma planète.  Un couple sur la droite m’a tout de même rappelé mon quotidien : Bill et Ute, attendaient, main dans la main que “deux puissantes maisons, d’égale dignité, dans la belle Vérone où se jouerait la scène, Fassent revivre une guerre où une ancienne haine souillerait à nouveau de sang les mains de la cité.” Depuis la soirée des partenaires, j’avais appris à  connaître ce couple de voisins éphémères et en les regardant, si beaux et si gentils, j’ai eu envie d’attirer leur attention pour les saluer. Après un rapide signe de la main, et un pouce levé qui me confirmait qu’ils partageaient mon enchantement, ils se sont tournés vers la scène, la lumière s’était éteinte. L’histoire allait nous être contée.

         Les premières notes d’un saxophone me tiraient déjà des larmes quand une nana que j’ai trouvée un peu sale sous son chapeau orné de rubans et de fausses fleurs, m’a tapé sur l’épaule. Son regard clair essayait de me transpercer et son sourire, auquel il manquait une dent, ne m’inspirait pas confiance. Mais, je suis bien élevée alors, quand elle s’est approchée de mon oreille pour me parler, je me suis légèrement penchée vers elle.

    – T’en veux ?

         Elle m’a alors tendu une petite boîte ronde, comme celles qui contiennent habituellement des médicaments mais dont on avait retiré l’étiquette. A l’intérieur, là où je m’attendais à trouver de la drogue, il y avait des petits vers séchés.  Ils auraient d’ailleurs pu en contenir de la drogue, j’en savais rien après tout. Toute mon enfance, mes parents m’ont chanté, comme un refrain, que je ne devais pas accepter les bonbons d’un inconnu, jamais. J’ai donc décliné l’offre et me suis réfugiée auprès d’Yvan pour profiter enfin du spectacle. Intriguée par cette fille, je l’ai quand même suivie des yeux pour constater qu’elle continuait son petit manège avec d’autres personnes qui, heureusement, répondaient toutes par la négative. Courageuse mais pas téméraire, j’ai chassé mon envie d’aller la dénoncer à la sécurité. J’en ai tout de même fait part à Yvan qui a rigolé:

    – Et tu vas lui dire quoi à l’agent de sécu ? Qu’il y a une meuf qui propose des asticots aux gens ?

         Sa question m’a fait réaliser que j’étais ridicule et que l’ambiance avait altéré ma perception de la situation. Je m’inquiétais pour rien et surtout, je posais un regard jugeant sur tout ce qui sortait de l’ordinaire. De mon ordinaire…

         À la dernière réplique, la salle s’est embrasée, les applaudissements nourris ont bien duré quinze minutes. Le spectacle avait été à la hauteur de sa réputation. C’était, en effet, le meilleur que je n’avais jamais vu. Nous en parlions encore avec Yvan devant le comptoir d’un bar improvisé à l’angle de la place quand Bill est arrivé. Seul.

    – Et bien ? Qu’est ce que tu as fait de Ute ?

         Il a répondu qu’elle avait disparu pendant la tarentelle au milieu du spectacle mais elle venait de lui envoyer un message pour lui dire que tout allait bien. Quelques minutes plus tard, elle nous a interpellés avec son accent succulent.

    – Quelle soirée ! C’est incroyable tout ce qu’on peut vivre en France. Alors, dites-moi tout : c’était comment la fin de ce spectacle ?

    – Comment ça, c’était comment ? Tu l’as vu aussi non ?

    – Oh oui. J’ai vu le début. Mais ensuite, après la danse géante, une fille m’a proposé un truc à grignoter.

    – Nan ? Toi aussi ! Des petits vers ! Beurk !

    – C’était pas si dégoûtant en fait.

    – Quoi ? T’en as mangé ? T’es dingue !

    – Pas si dingue figure-toi…

         Je m’étais encore faite avoir. Cette fille édentée, qui distribuait des asticots, faisait bien-sûr partie du spectacle elle aussi, et en manger, c’était la clé vers un passage secret. Lorsque Ute a avalé son ver, la fille l’a prise par la main en la félicitant de son absence de préjugés. Dix spectateurs avaient été sélectionnés de cette manière pour assister à une représentation parallèle suivie d’un banquet fastueux au champagne et qui se jouait dans un autre espace sous un autre chapiteau, caché derrière le premier. Ute était subjuguée par le voyage qu’elle venait d’entreprendre. Elle venait de voir le spectacle le plus intelligent qu’elle n’avait jamais vu là où moi je n’avais vu que le plus beau. En quittant la troupe, ils avaient tous fait la promesse de ne rien révéler de ce qu’ils venaient de vivre et Ute s’est avérée très loyale. Ils étaient dix élus. Dix humains dans le secret. Dix humains privilégiés. Quand je suis rentrée chez moi quelques heures plus tard, je n’ai pas réussi à aller me coucher. J’étais fâchée après moi-même. Vexée par mes préjugés. Frustrée d’avoir sans cesse dans ma tête, ces barrières qui m’empêchent de vivre toutes les expériences inédites que pourraient m’offrir la vie. Il fallait coûte que coûte que je travaille sur ce sujet. Je n’allais pas gaspiller la deuxième moitié de ma vie, enfermée dans mes certitudes. Comme dit Raphaëlle Giordano : “Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une”.

    à suivre…

  • Carnet de (non) voyage – épisode 4


    “Demain, j’arrête.”

         Si on m’avait filé un euro à chacun des engagements que j’ai trahis en moins de temps qu’il faut pour dire “promis”, je serais probablement assez riche pour ne pas retourner en classe et continuer à écrire jusqu’à la fin de mes jours. Dans l’art de tout remettre au lendemain, je suis passée maître. Il y a les petites procrastinations quotidiennes et ménagères, bien-sûr, qui, au final, n’embêtent que moi ; qui, en effet, pourrait se plaindre que je n’ai plus de culotte propre à enfiler ou de lait dans le frigo, franchement ? Les procrastinations administratives sont un peu plus dérangeantes parce qu’elles peuvent coûter de la tune ou empêcher les enfants d’aller à l’école, c’est vrai… Je me suis donc promis d’arrêter de procrastiner, et ce, avec plus ou moins de réussite. 

         Essayer de mettre en œuvre des changements pour perdre mes mauvaises habitudes, c’est sûrement ce qu’il y a de plus difficile pour moi. Les “demain, j’arrête” sont légion dans ma bouche et plus encore dans mon esprit; les engagements silencieux sont, en effet, plus prudents car, une promesse faite à voix haute demande toujours d’essayer pour de vrai. Il faut aussi savoir trouver son moment idéal, à chaque promesse sa saison. Arrêter les apéros pendant les vacances d’été : mauvaise idée. C’est plus facile en janvier quand on le fait en troupeau. Arrêter la raclette, c’est le contraire… Cela dit, en y réfléchissant bien, il y a des habitudes que j’ai réussi à perdre par ma seule volonté, je ne mange plus de viande depuis des années et je ne fume plus depuis des mois. Je me congratule de ces deux victoires et ça devrait m’encourager pour mon vrai combat, ce truc que j’essaie d’arrêter depuis des années : l’ouverture inopinée de ma putain de grande gueule. 

    – J’aurais jamais dû noter “à suivre” à la fin de mes textes.

    – Te mets pas la pression. T’as pas donné de rendez-vous précis. Tu publieras quand tu seras prête. Il est où le fromager qu’on aime bien déjà ?

         Samedi dernier, comme nous avions le temps, Yvan et moi sommes allés sur le marché. Contrairement aux semaines précédentes, le soleil boudait, et, pour notre plus grand plaisir, une légère bruine avait découragé les foules. Nous marchions, main dans la main, au milieu des allées odorantes et colorées. Les poulets, qui tournaient sur des broches, m’évoquèrent les bouliers que j’utilise en maths avec mes élèves, mais je me suis empêchée d’en faire la remarque, il est bien trop tôt pour commencer à repenser au taf. Le parfum qui s’en échappait aurait presque pu me donner envie de croquer dans une cuisse dorée si je n’avais pas aperçu l’étal du boucher juste à côté : Des tranches de foie, de la cervelle et des jarrets s’étalaient là sous mes yeux, rougeoyants, sanguinolents, dégueu, me rappelant toutes les raisons pour lesquelles je ne mange plus de viande. 

         J’ai détourné le regard de la collection de morceaux d’animaux morts quand, plus loin, à un stand de bijoux celtes, j’ai reconnu le couple Ricoré. J’avais en effet remarqué que leur voiture était toujours devant chez Régis qui, visiblement avait ses raisons pour accepter que ces gens là restent devant chez lui. Toujours honteuse à l’idée d’avoir critiqué leur hôte, je n’avais pas parlé de l’épisode à Yvan. Moins il y a de témoins, plus vite s’estompe la gêne. 

         Je me suis dirigée à la hâte vers le maraîcher et me suis perdue dans la contemplation des fruits et légumes pour éviter qu’ils ne me reconnaissent. Yvan, amusé par la démonstration d’un camelot qui vendait des poêles autonettoyantes, m’a laissé faire mon choix. Les pêches exhalaient leur parfum sucré. Les abricots me tentaient mais, à chaque fois j’en prends trop, et je finis par jeter les trois derniers, flétris et recouverts de moucherons. Sur une petite assiette, des morceaux de pastèque surmontés de cure-dents attendaient d’être dévorés par les clients mais c’est la cagette de cerises qui a attiré l’attention de l’enfant de quatre ans qui sommeille en moi, j’en ai attrapée deux, de celles qui sont reliées par la tige, je les ai posées sur mon oreille droite puis me suis retournée vers Yvan:

    – Hey ! Qu’est ce que tu penses de mes nouvelles bouc…

         Je n’ai pas eu le temps de terminer ma phrase, juste à côté de moi, mon cher et tendre discutait avec… Les amis de Régis. À cet instant, j’aurais donné cher pour être un poulet parmi tous les autres, en mode camouflage, en train de rôtir tranquillou sur ma broche. 

    – Tiens, je te présente Bill et Ute. Ils occupent la maison des voisins pour les vacances. 

         J’ai souri. De ce sourire réflexe de constipé qui sort quand on n’a pas du tout envie de sourire mais qu’on a quand même quelques compétences psychosociales. Ils portaient tous les deux le même ciré jaune, ceux que seuls les touristes achètent, croyant ainsi se fondre dans la masse. Je ne pouvais pas le voir, mais j’étais sûre que dessous, ils portaient aussi une marinière. Cet accoutrement, délibérément folklorique, n’entachait en rien leur classe naturelle. Mon admiration du premier jour commençait à entrer en conflit avec une forme inavouée de jalousie. 

    – Oui, bonjour. On s’est déjà vus en effet ! 

         J’ai regardé Yvan, en fronçant les yeux, pour essayer de comprendre à quel moment il avait fait la connaissance des nouveaux voisins, mais la réponse avait peu d’importance. De toute façon, Yvan possède cette faculté à parler à tout le monde. Pressée de m’échapper, je prenais congé en précisant à mon mec, ce traître, qu’il pourrait me retrouver chez le fromager quand un type m’a attrapée par l’épaule sous le regard du trio.

    – Et les cerises là, vous croyez que je vais vous les offrir ?

    Sur le chemin du retour, Yvan essayait de me dérider. 

    – Allez, arrête. C’est marrant. C’est la paire de boucles d’oreilles la plus chère de toute l’histoire !

    – Tu parles…

    – Donne-moi ton panier, il pèse une tonne !

         Pour me sauver la face, j’avais dévalisé la moitié du stand de fruits et légumes : un sachet de cinq-cents grammes de boucles d’oreilles, un kilo de nids à moucherons, trois melons et une demie pastèque. C’est pas un crime de porter une demie pastèque… J’allais faire cette dernière remarque à Yvan, mais j’étais pas sûre qu’il comprenne la blague. On rentrait donc, chargés comme des ânes. Évidemment, la scène m’aurait amusée aussi si elle ne succédait pas à la première, celle de ma trousse à foufoune, de mes sabots péteurs et de ma confidence sur le connard qui les hébergeait. 

    – En plus, ils sont vraiment sympa. 

    – De qui tu parles ?

    – Ben des gens qu’on a croisés. Le couple. 

    – Des fréquentations de Régis ? Comment tu peux imaginer qu’ils soient sympa ? Ils savent pas choisir leurs amis déjà !

    – Mais non, ils se connaissent pas. Ils ont loué la maison pour le mois. Ils sont pas du tout potes !

    – Quand est-ce que t’as eu le temps d’apprendre tout ça ?

    – Il m’a aidé l’autre jour quand je chargeais le décor de la soirée stand up. Du coup je les ai invités à l’événement VIP de vendredi.

         Depuis notre emménagement, Yvan a fait une pause dans sa carrière de metteur en scène et a repris la gestion d’une salle de spectacle. Notre garage sert souvent d’espace de stockage pour des structures en tout genre. La semaine suivante, il serait sur le pied de guerre pour le festival de théâtre annuel de notre ville. Passablement agacée, je lui ai rappelé qu’il n’avait pas besoin d’inviter les premiers venus sous prétexte qu’ils avaient l’air sympa. Des tas de psychopathes ont l’air sympa jusqu’à ce qu’on apprenne de quelles monstruosités ils ont été capables.

     

    – Pourquoi est-ce que ça vous embête autant ? 

    – Quoi ? Le fait d’ouvrir ma bouche ou ce qui en sort ?

         Le lendemain, mon rendez-vous avec ma thérapeute arrivait à point nommé. Depuis des mois, nous travaillons, elle et moi, à la mise en place d’outils destinés à calmer le petit vélo qui circule constamment dans ma tête. Revivre en boucle mes excès de bouche est l’une des énergies motrices qui font rouler ce vélo. 

    – En vérité, ce qui m’embête le plus, c’est que manifestement, je suis incapable d’utiliser les outils. 

    – Lequel d’entre eux aurait pu vous servir en l’occurrence ?

    – Avec Yvan ?

    – Oui ou avec le couple Ricoré, quand vous leur avez dit que Régis était un con.

    – Socrate évidemment.

         Parmi les nombreuses astuces qu’elle m’a données, celle qui me parle le plus et qu’il est grand temps que je maîtrise, ce sont les trois filtres de Socrate. Pour une communication sereine et bienveillante, le philosophe conseille de passer ses propos à travers trois lorgnettes : la vérité, la bonté et l’utilité. Si le contenu de ce qu’on va dire est vrai, bon et utile, alors on peut aller au bout de sa pensée. Si un seul de ces filtres fait barrage, on se tait. 

    Antoine croit que je gâche les vacances de Joséphine ? Intox. J’essaie juste de penser à sa place.

    Flo est en train de devenir une mauvaise version d’elle-même ? malveillant.

    Commenter la nouvelle coupe mulet de Timéo ? inutile. Et elle n’est sûrement pas ratée pour une partie de l’humanité la fédération française de football.

         En fait, les trois filtres, c’est un peu comme le conseil de la langue qu’il faut tourner sept fois dans sa bouche mais avec, en plus, la notice de ce qu’il faut faire pendant que ça tourne. 

          Après ma séance chez la thérapeute, alors que j’attendais Joséphine, assise sur un banc public des quais, j’ai sorti mon carnet et entrepris la rédaction d’une liste des moments où j’aurais mieux fait de la fermer. De mémoire, le plus lointain d’entre eux remonte à mes six ans. Retenez bien la précision de cet âge. C’est une information importante. 

         C’était en été, nous étions, ma sœur, mes parents et moi, à Royan, dans la voiture. On s’apprêtait à embarquer sur le bac qui assure les navettes sur l’estuaire de la Gironde pour rejoindre Soulac où mon grand-père nous attendait pour les vacances. Le soleil était de la partie et dans nos valises, s’entassaient maillots de bain, sandales et raquettes. Je ressentais en anticipation, le sable sous mes pieds nus, l’odeur de la mer et les longues heures à concevoir de merveilleux châteaux ou à sauter dans l’écume. Au ras le bol des heures de trajet que nous venions de parcourir, enfermés dans la voiture pour arriver jusque là depuis la région lilloise, s’ajoutait l’excitation de prendre le bateau ! Lorsque, dans sa guérite, l’employée de la compagnie avait annoncé à mon père les tarifs de la traversée, elle avait jeté un oeil vers Emma et moi qui sautions joyeusement à l’arrière puisque, comme tout enfant des années quatre-vingt, nous n’avions pas besoin de ceinture de sécurité, c’était surfait à l’époque, la vie des enfants. 

    – C’est gratuit jusqu’à six ans monsieur. Donc deux adultes et un enfant, c’est bien ça ?

         Mon père a regardé ma mère, il lui a fait un clin d’oeil puis a répondu à la dame:

    – Ah non ! La grande n’a que cinq ans.

         Cinq ans… Cinq ans ? Un petit enfant innocent de six ans, et pas CINQ, ne peut concevoir que ses parents puissent gruger. J’étais déçue que mon père ait oublié mon âge, et il était hors de question de passer pour un bébé ! De ma grande taille d’enfant de six ans, je me suis avancée, bien droite, la tête entre les sièges de mes deux parents pour laver l’affront et corriger l’erreur paternelle : 

    – Mais non, j’ai pas cinq ans, j’ai six ans !

      Mon père s’est tourné vers moi, en fronçant les yeux et a attrapé son portefeuille en ignorant totalement mon intervention. Il n’avait pas dû bien m’entendre, c’est pour cela que j’ai repris :

    – Et oh, papa ! J’ai pas cinq ans, j’ai six ans ! Hey Madame ! Mon papa, il s’est trompé !

         Difficile de faire semblant de ne pas m’avoir entendue cette fois. Et, à l’époque, l’éducation bienveillante, comme les ceintures de sécurité à l’arrière des voitures, n’avait pas encore été inventée. Dans un geste qui serait, aujourd’hui, réprimé par la loi, mon père m’a envoyée au fond de mon siège. Évidemment, sa réaction aurait dû suffire à me faire comprendre que parfois, fermer sa gueule, c’était bien aussi. Mais certaines leçons sont plus longues à apprendre que d’autres. En tout cas, une chose est sûre, il n’avait pas entendu parler de Socrate… 

         Quand j’ai refermé mon carnet, Joséphine arrivait au loin. Son casque sur les oreilles, le nez en l’air, la démarche presque dansante, elle souriait.

    – Maman, moi je trouve que tu devrais pas faire ce truc des filtres. T’es beaucoup moins drôle depuis que tu te retiens !

         L’humour méchant fait partie des enseignements inconscients que j’ai donnés à Joséphine et le comprendre m’a fortement convaincue qu’il fallait que j’arrête. Cette fille a le cœur pur, il est hors de question que je la pervertisse ! 

         Hier soir, Yvan bossait tard, je venais de terminer mon dernier texte et je jetais un coup d’œil distrait sur insta pendant que Joséphine regardait Into the wild dans le canapé à côté de moi. Hortense a l’air de s’éclater à Djerba : soirée disco, aquagym et balade à dos de chameau illustrent son fil d’actu. J’allais déplorer, à voix haute, l’absence de clichés de mecs bodybuildés quand j’ai repensé à Socrate. S’il y a bien une personne devant laquelle je dois m’améliorer c’est bien mon enfant, non ? 

    – Maman, lâche ton téléphone. Regarde le film avec moi.

         J’allais lui répondre que je l’avais déjà vu mais sa petite bouille d’enfant de cinq ans seize ans a eu raison de moi et je me suis installée à ses côtés, la prenant dans mes bras comme un bébé qu’elle n’est plus.

    – Je sais que tu veux pas voyager, mais quand même, ce film, ça te donne pas envie de voir autre chose quand même, maman ?

         C’était une question intéressante mais j’étais incapable de lui répondre. Les raisons pour lesquelles je ne voyage pas sont multiples : écologiques bien-sûr, économiques peut-être mais il faut bien que je m’avoue une certaine flemme teintée de peur à l’idée de quitter ma zone de confort. J’essayais de trouver une réponse intelligente, éducative et empreinte de vérité pour justifier mon besoin de rester auprès de mon arbre quand, du film, cette phrase a résonné : “L’âme humaine puise sa substance dans des expériences inédites.” Pure provocation du hasard qui, à n’en pas douter, va tourner dans ma tête dans les jours à venir.

    à suivre…

     

  • Carnet de (non) voyage – épisode 3


    “Ce livre est écrit beaucoup avec le rêve, un peu avec le souvenir.”

         J’ai beau avoir imaginé une bonne partie des scènes de mon roman, des tas de gens ont pris pour argent comptant ce que j’y avais raconté. Certains membres de ma famille se souviennent même avoir vécu des épisodes qui sont pourtant tout droit sortis de mon imagination et pas du tout de ma mémoire. Quelques semaines après la sortie des Tribulations, une de mes tantes m’avait écrit pour me parler de cet épisode du bain de minuit en Ardèche. Ce moment où, la courageuse petite fille que je n’étais absolument pas dans la vraie vie, avait bravé l’interdiction parentale pour aller espionner tous les adultes de sa famille, en train de barboter dans le plus simple appareil pendant que les enfants, laissés sans surveillance, roupillaient sous la toile de tente. T’as vraiment super bien raconté cette histoire. Ce bain, je m’en souviens comme si c’était hier. À ce compliment, j’avais vaguement  souri. Mais, au fond, un léger malaise s’était alors emparé de moi. La scène s’était-elle déroulée, pour de vrai, en dehors de ma présence et, dans ce cas, cela révélait-il un pouvoir divinatoire que j’avais jusque-là ignoré ? Ou alors, mon pouvoir était d’un autre ordre, s’agissait-il plutôt d’une force suggestive que je pourrais utiliser à des fins plus ou moins honnêtes en fonction de mes besoins? Quoi qu’il en soit, même si je ne suis pas Peter Parker, je sais qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc, après réflexion, j’ai décidé que ma tante était juste une mytho qui voulait me flatter. Je préfère avoir une tante mytho plutôt qu’un super pouvoir.

         J’ignore si c’est parce que je me suis replongée dans l’écriture ou si les événements de la veille m’y ont naturellement ramenée mais c’est hier matin que toute cette histoire de bain de minuit m’est revenue. 

         Forte de mes résolutions, j’allais mener une nouvelle journée de vacances saine et productive. J’avais décidé que chaque matinée commencerait par une tâche domestique fastidieuse suivie d’une marche oxygénante destinée à préparer mon cerveau à l’exercice intellectuel de l’écriture. Mes après-midis seraient consacrés à mon art et enfin, comme Yvan commençait ses vacances, nous prendrions un apéro bien mérité, profitant du petit écrin de nature qui entoure notre maison.

         Ce jour-là, j’avais décidé de m’atteler aux écuries d’Augias… Enfin, à défaut d’écuries, il fallait que je nettoie ma caisse et franchement, en termes d’épreuve, c’est quelque chose !

          Je me demandais si la substance verte qui avait colonisé l’aile gauche était d’ordre végétal ou animal. J’ai attrapé, sans trop y croire, la grosse éponge qui flottait entre deux eaux, dans un seau en plastique jaune, rempli d’eau chaude et de savon noir. Contrairement à Régis dont la maniaquerie automobile me semble suspecte, je ne lave pas ma voiture. Sauf une fois par an, quand il fait chaud et que c’est amusant de jouer avec un tuyau d’arrosage. L’accumulation de bordel au fil du temps dans ma voiture pourrait servir de calendrier. En général, quand elle vient d’être nettoyée et rangée, je parviens à la garder en bon état quelques semaines. Vers octobre, la survenue d’un ou deux épisodes de flemme laissent un prospectus ou un mouchoir derrière moi et une fois que le mécanisme a commencé, la décomplexion suit. Un petit papier de plus ou de moins ? De toute façon, c’est le bordel. Arrivée en décembre, du matos de prof s’est installé discrètement sur le siège arrière, un pull que j’avais pris au cas où, les multiples emballages de ce que Joséphine mange sur la route, le sable (parce que je vous rappelle que j’habite là où vous partez en vacances) et, jusqu’en juin, le courrier, relevé à la hâte chaque matin avant de partir, qui vient s’entasser, marquant le temps qui passe, comme les grains s’amoncellent dans le réceptacle d’un sablier.

         J’avais presque terminé, et même si j’étais plutôt fière du résultat, j’avais hâte de rentrer me doucher. J’étais une catastrophe visuelle et odorante : mes cheveux tenaient tout seul, des traces de cambouis s’étendaient de mon front à mes genoux, et mes chaussettes trempées faisaient, à chacun de mes pas, un bruit de pet dans mes sabots en caoutchouc. Je ramassais les derniers détritus quand une voiture s’est arrêtée à côté de la mienne, un créneau en une seule manœuvre et elle était garée. Une femme d’environ mon âge est sortie de la place du passager dans un petit saut dynamique. Elle mesurait  au moins quinze centimètres de plus que moi. Chic mais décontractée, elle portait un jean bien coupé, une chemise blanche et des sandales légères. Quelques secondes plus tard, un homme, fabriqué dans le même moule qu’elle, est sorti du véhicule. Il s’est étiré et a scanné la rue avec curiosité. Ils se sont souris, il a ouvert le coffre et chacun a attrapé un bagage. A moitié cachée derrière ma voiture, je les regardais. Ils étaient beaux, ils avaient l’air amoureux et heureux. Je les imaginais tous les deux, pendant le footing du dimanche matin. Ou, lui cuisinant pour elle, pendant qu’elle lui racontait sa journée en buvant du vin dans un verre à pied élégant. Je la voyais au réveil, s’installer sur le plan de travail de la cuisine, soufflant sur son café, magnifique dans sa chemise blanche avec ses longues jambes hâlées. Le samedi soir, ils sortaient au théâtre et dînaient au restaurant. Elle bossait dans l’humanitaire et lui était designer de meubles. Ils prenaient des cours de danse de salon et chaque premier vendredi du mois, elle enfilait une petite robe à volants et lui, une chemise à motifs et un chapeau Trilby, pour aller se déhancher, des heures durant, dans des soirées à thème. Ils ne faisaient leurs courses que dans des coopératives bio et, en ce moment, ils apprenaient l’italien pour profiter au mieux de leur futur séjour dans les Pouilles. Ils étaient à deux doigts d’avoir Waxx et Pénélope Bagieux comme potes de brunch quand je me suis aperçue que l’homme était en train de me parler. J’ai secoué la tête pour me retrouver dans le monde réel, celui où j’étais dans ma rue, un torchon sale glissé dans la ceinture de mon short informe et un sac poubelle à la main, en train d’espionner des gens et de me faire des films…

    – Tenez, vous avez perdu ça.

         Je n’ai pas réussi à identifier la provenance de son accent, mais j’ai tout de suite reconnu l’objet qu’il me tendait. Il s’agissait de ma trousse à hygiène intime, celle que je garde dans ma voiture en cas d’urgence absolue et qui avait dû tomber de la boîte à gants à mon insu. Pourquoi n’y avais-je pas rangé des gants plutôt ? Sérieux ! C’est pas une boîte à savon à foufoune ! Un  feu vif s’est allumé dans mes joues, j’ai récupéré mon bien puis j’ai détourné le regard et entrepris de ramasser mon seau dont la anse a finalement lâché pour répandre son eau sale sur mes chaussettes.  Ma gêne était de magnitude cinq sur l’échelle de la honte. C’est entre la crotte de nez qui pend et la gamelle en pleine rue. La présence de spectateurs faisant évidemment grimper la note. Mon cerveau était déjà en mode réparation. C’est pas grave. Tu ne les reverras plus. Demain, ils t’auront oubliée. Je savais que malgré tout, dans les mois à venir, j’allais me raconter cette scène en boucle dans mes heures de faiblesse et d’autoflagellation.  Mais pour l’heure, il fallait que je mette fin à ce moment. Alors, pour prendre congé mais en gardant la tête haute, j’ai jugé utile de les mettre en garde, comme celle qui sait, celle qui veut bien les mettre dans la confidence:

    – Je vous déconseille de laisser votre voiture à cette place. Ce voisin, là, il est… pas vraiment accueillant. 

         J’avais pondéré mes mots mais ils avaient tous les deux saisi l’euphémisme, j’en étais sûre. Comme s’ils étaient capables de lire les petites phrases en italique qu’il y a dans ma tête parfois. C’est elle qui, en ouvrant le portail de Régis, ce putain de mec pas vraiment accueillant, m’a remerciée avec le même accent délicieux que son mec.

    – Oui. D’accord. Merci beaucoup.

         Putain ! C’étaient des invités de Régis ! Mais quelle conne… Je venais de prendre trois points d’un coup sur l’échelle de la te-hon ! Quand est-ce que j’allais apprendre à fermer ma grande gueule ? Mortifiée, j’ai ramassé mes affaires et mon amour propre et je suis rentrée chez moi. 

    – Qu’est-ce qui se passe ma chérie ? T’as l’air contrarié.

         Je sortais de la douche, mes cheveux enroulés dans une serviette, passablement agacée. 

    – Nan, c’est bon, j’ai rien.

    – Euh.. Si, t’as quelque chose ! T’arrives pas à écrire ?

    – Ça n’a RIEN.À.VOIR…

         Je regardais Yvan. Son tee-shirt délavé et ses claquettes de vacancier, son insistance pour savoir ce qui n’allait pas, son journal et ses mots fléchés, son carnet à partitions, son intérêt pour mon projet d’écriture… Tout ce que je trouvais adorable d’habitude m’a soudainement horripilée.

    – Arrête de me parler de mon écriture ! Et c’est quoi ton look de touriste allemand ? Tu pourrais faire un effort franchement ! Et puis, pourquoi on sort pas d’abord et pourquoi tu veux pas qu’on apprenne à danser la Salsa ou le Charleston ?

         Sa tolérance n’ayant d’égale que mon injustice, il a fait demi-tour sans s’énerver, a préparé les sacs et a quitté la maison pour aller faire les courses. Quand je suis énervée, il suffit d’attendre que l’orage passe. Il le sait. Après une balade plus longue que d’habitude et une séance d’écriture ratée, je suis allée le rejoindre sur la terrasse.

    – Un Quincy ? 

         Je l’avais engueulé sans raison quelques heures plus tôt et, lui, il était allé m’acheter mon vin préféré…

    – Je suis vraiment désolée. Je te suis très reconnaissante de me soutenir dans mes projets. Et, franchement, tes claquettes, elles sont très jolies.

         Il a éclaté de rire, m’a servi un verre. Et sans que je sache comment, je me suis réveillée le lendemain matin… Au bord de la rivière.

    – Alors ? Bien dormi ?

         J’étais parfaitement installée entre sommeil et phase d’éveil, ce moment où se mêlent encore rêve et réalité. Les couleurs vives d’un feu d’artifice, le rythme effréné d’une batucada et le sourire d’Yvan me prenant par la main pour danser pieds nus dans l’herbe humide de la nuit se mêlaient à sa voix et à l’odeur du café émanant d’une tasse en carton qu’il me tendait en souriant. Je me suis assise, j’ai attrapé le gobelet et j’ai scanné le paysage alentour. A quelques mètres, la rivière s’écoulait lentement. Par endroits, des ondulations laissaient deviner la présence de poissons. Un Cormoran se faisait sécher les ailes sur un rocher un peu plus loin. Un tambour cognait dans ma tête, j’aurais donné cher pour un cachet d’aspirine. J’ai avalé une gorgée de café et me suis tournée vers Yvan.

    – La vache ! Quelle soirée ! 

         Des détails m’échappaient, notamment la raison pour laquelle je n’étais pas dans mon lit. Une chose était sûre, je ne m’étais pas contentée d’un seul verre de vin. 

    – Comment est-ce qu’on a fait pour en arriver là ? Et d’où tu sors un café ?

         Yvan a souri, et m’a montré du doigt le foodtruck de l’autre côté de la route.

    – Tu veux que je reprenne à partir de quel moment ? Le resto quand on a décidé qu’on ne voulait pas cuisiner ? Les deux bouteilles de rouge ? La Batucada qu’on a suivie juste après ? Le feu d’artifice ?

    – Le feu d’artifice ! C’est à partir de ce moment-là que ça devient vraiment flou !

         Je me creusais la tête quand mon sac, heureusement toujours là, s’est mis à vibrer. 

    – C’est un message d’Emile. 

    – Ah oui ! C’est vrai qu’on l’a croisé ce môme ! Il a bien grandi. Qu’est ce qu’il dit ?

    – Il demande si on a digéré ses biscuits…

    – Oh putain ! Ses biscuits ! Evidemment ! Ceci explique cela !

         Emile, c’est le fils de ma copine Flo. Il est à peine plus vieux que Louise. C’est un jeune un peu paumé qui passe son temps en teuf.Depuis quelques mois, il a décidé d’en faire son métier et il bosse comme technicien son. Il accompagnait le groupe programmé à la guinguette pour le 14 juillet. D’ordinaire il fume des joints mais la veille il avait fait des Space cakes et avait, visiblement, trouvé amusant d’en filer à des vieux comme nous.

         Malgré le soleil de plomb qui tapait déjà, un frisson m’a parcourue.

    – T’as une idée de la raison qui pourrait expliquer mes sous-vêtements trempés ?

         Yvan a sorti son téléphone pour me montrer les dernières photos de sa galerie. On assistait, au fil des clichés, à mon évolution Pokémon pour terminer sur ma version aquatique, le cul dans le courant vaseux de la rivière. J’avais peut-être mal au crâne, mais en me baladant dans ses photos, j’ai compris que ça en valait la peine. Quand on a terminé notre café, il m’a attrapé les mains pour me mettre en route. Sur le chemin du  retour, tout m’est revenu en tête : tous les humains avec lesquels on avait discuté, nos éclats de rire, mes pas de danse improvisés sous son regard bienveillant, ses conseils avisés sur ma prochaine publication, nos baisers enflammés comme si on sortait ensemble depuis deux semaines… Alors oui, on était loin du glamour-bobo-chic des amis de Régis, mais j’étais en train de réaliser que mon mec était mon meilleur pote et que c’était sûrement plus important que de ressembler à un spot publicitaire Ricoré. 

         En arrivant à la maison, après une douche salvatrice et un Doliprane, j’ai annoncé à Yvan que mon foie et mon cerveau avaient besoin d’une pause. Pourtant, quand, vers 19h, j’ai levé la tête de mon ordi, ravie du texte que je venais de terminer et que j’allais pouvoir vous envoyer, mon coeur était à nouveau à la fête. Comme je le fais à chaque fois, j’ai soumis mon travail à Yvan et l’ai regardé le lire en essayant de deviner s’il trouvait ça suffisamment abouti pour le publier sur mon blog. Il a levé les yeux vers moi, m’a souri et m’a dit:

    – Un petit Quincy ?

         Un sourire est apparu sur mes lèvres, j’ai affirmé que, cette fois, ça ne finirait pas en bain de minuit et en attrapant la bouteille dans le frigo j’ai ajouté sans y croire :

    – Ok, mais demain, j’arrête !

     

    à suivre…

     

  • Carnet de (non) voyage – épisode 2


    “Ce qui compte c’est pas l’arrivée, c’est la quête.”

         Du plus loin que je me souvienne, pour mener à bien chacun de mes combats, je me suis toujours concentrée sur la destination finale et rarement sur les étapes intermédiaires, ma volonté étant trop vulnérable face au pouvoir décourageant du chemin qu’il reste à parcourir  : réussir mes examens, pondre mes bébés, quitter leur père, trouver l’amour, arrêter de fumer ou perdre du poids, les deux derniers exemples étant particulièrement difficiles à mener de front, vous pouvez me croire ! Je ne sais pas si les paroles d’Orelsan et de l’ensemble des gens qui ont dit la même chose avant lui, de Voltaire à Coelho en passant par Kerouac, peuvent vraiment être utiles en début de parcours. Il n’y a qu’une fois qu’on a atteint son objectif qu’on réalise l’importance de toutes les marches qui nous y ont amenés, ce n’est qu’une fois en haut de la montagne, qu’on constate fièrement toute l’énergie qu’on a dû déployer pour serpenter sur les sentiers caillouteux qui menaient jusque là. Quand commence l’ascension, si on se focalise sur les souffrances qui nous attendent avant l’ultime contemplation du panorama, il y a de fortes chances qu’on ne se lance jamais. 

     

    – Rendors-toi. Je file bosser. Je devrais être de retour assez tôt. 

         Comme si sortir de son lit était le truc le plus facile du monde, mon mec s’est redressé d’un coup, a passé la main dans mes cheveux et a réajusté la couette sur mes épaules. Je l’ai regardé quitter la chambre les yeux mi-clos puis me suis étalée en plein milieu du lit en respirant lentement l’odeur de notre nuit imprimée sur les draps. Une sensation délicieuse s’est emparée de mon corps, une idée douce se baladait dans mon esprit : c’était le premier matin des grandes vacances. J’ai toujours adoré les grandes vacances, et c’est franchement une des raisons pour laquelle je suis devenue prof. Ça et l’amour des enfants, la fierté de transmettre mon savoir et ma foi en une humanité en constante évolution. Nan, je déconne, juste pour les vacances.

         Même si j’en avais tout le loisir, je n’étais pas du tout disposée à me rendormir. Cette journée était la meilleure des cinquante qui suivraient, je ne voulais pas en perdre une miette. Le soleil perçait déjà de part et d’autre du double rideau, une légère brise traversait la fenêtre entrouverte et j’entendais les oiseaux chantonner dans le jardin. Je me voyais déjà, assise sur la terrasse, en train de déjeuner à l’ombre de mon magnolia en écoutant un podcast quelconque ou en terminant enfin le bouquin de Murakami que je n’avais pas eu le temps de prendre en main ces dernières semaines, entre les bulletins, la kermesse, et la rédaction des projets pour la rentrée prochaine. J’ai ouvert mon lit en grand pour l’aérer, j’ai fait quelques étirements devant ma fenêtre puis j’ai enfilé mon peignoir en satin, attrapé mon carnet en cuir noir qui traînait sur l’étagère et suis enfin descendue à la cuisine pour préparer mon petit déjeuner. 

         Les petits déj de vacances n’ont, chez moi, de petit que le nom. Un demi camembert, deux oeufs à la coque et cinq tartines plus tard, j’étais toujours attablée, et c’est en me servant mon troisième café que je me suis aperçue que ça faisait bien une heure que j’étais bloquée dans le monde stérile et virtuel des réseaux sociaux. Hortense fignolait ses bagages et l’intégralité du contenu de sa valise était artistiquement étalé sur son profil. Leclerc faisait des promos sur les crèmes solaires et j’avais trois souvenirs à consulter en cliquant ici. Perdre du temps sur facebook fait partie de mes activités honteuses du matin. Je ne sais même pas pourquoi j’y vais encore. Rien ne m’y intéresse, mon pouce s’agite de bas en haut dans une cadence lente et continue. Hypnotique… Mes yeux regardent, sans les voir, l’enchaînement de pubs entrecoupées des posts  de quelques humains que je n’ai jamais vus dans la vraie vie mais que l’algorithme envoie sur mon fil d’actualités de manière aléatoire. Le Facebook des débuts me manque, celui qui était une sorte de Copains d’avant et d’aujourd’hui et qui permettait d’avoir des news de tout ce petit monde, mon petit monde. Même si c’était pour y apprendre que Charlotte avait mangé une pomme ou que Seb et Fred s’étaient éclatés la veille au Paintball… Au moins, la plate-forme ne m’offrait que les récits des gens que j’avais choisis de suivre.  

         Elle avait eu aussi, je dois bien l’admettre, le double avantage de me faire comprendre que j’aimais écrire et que je pouvais avoir une audience pour lire ce qui se passait dans ma tête. Machinalement, j’ai tapé l’adresse de mon blog. Mes textes se font rares depuis quelques années. L’étalage de mes émois a été la quête de ma trentaine, la thérapie de l’adulte que je devenais et qui avait des comptes à régler. Partager mes écrits avait surtout servi à nourrir un besoin de reconnaissance et probablement d’amour. J’ai conclu des années de séduction littéraire par un roman que j’ai publié il y a quelques années. Peut-être l’avez-vous lu ? Depuis, c’est comme si j’étais guérie, que je n’avais plus besoin de la validation des autres pour penser, pour m’exprimer, pour exister… En réalité, c’est une demie victoire parce mon chaos créatif a laissé la place à une paix infertile, m’amputant du doux statut d’écrivain que je ne m’autorise plus à évoquer lorsque je rencontre quelqu’un pour la première fois aujourd’hui. Être un auteur aux yeux du monde remplissait de joie mon enfant intérieur, aujourd’hui je ne suis plus que la maîtresse d’école et ça, mon môme intérieur, je crois qu’il s’en tape royalement.

         J’ai éteint mon téléphone et ouvert mon carnet pour y entamer la liste de ce qui pourrait réjouir la petite fille que j’ai été jadis. Des listes, c’est tout ce que je suis capable d’écrire désormais. Ma tasse à la main, je me suis mise à parcourir les dernières en date : Liste des propos d’Hortense qu’il ne faudrait pas que les élèves entendent, Liste des psychopathes fascinants dont j’ai écoutés les histoires, liste des raisons pour lesquelles je n’ai pas besoin de voyager, liste des remarques que je me retiens de faire à Antoine. Je m’apprêtais à commencer la liste des idées de projets qui pourraient justifier au monde mon été sédentaire quand mon téléphone s’est mis à vibrer.

         La tête de Louise s’est affichée, elle m’appelait en visio. Louise m’appelle tous les jours. Même si elle est ravie d’expérimenter enfin la vie loin de ses parents, elle a toujours besoin de partager avec moi chacune de ses questions existentielles et ses petites interrogations pratico-pratiques. Maman, mon pull blanc, tu sais celui que j’ai acheté avec toi la dernière fois, oui, celui en laine, je peux le mettre en machine ? A combien ? Dis maman, j’ai mal au ventre, ça se peut que ce soit à cause du yaourt que j’ai mangé hier ? Il était périmé d’un jour. Maman, c’est quoi la recette de ton dhal ? Dis maman, t’as moyen de me faire un petit virement ? J’ai plus rien à manger. Maman, on s’appelle en visio plutôt, je vais te faire un petit unboxing de mon shopping ! Non, non c’est pas pour ça que j’t’avais demandé de l’argent…

         Je n’ai pas toujours le temps ou la disponibilité mentale dont elle a besoin, c’est donc avec plaisir que je me suis installée dans le hamac, sous la chaleur de ce matin d’été, et que j’ai décroché mon téléphone, un grand sourire sur les lèvres. Assise dans son petit studio, une tasse à la main et les cheveux tirés en un chignon strict qui met en valeur son visage doux, Louise est apparue. En une seconde je sais comment elle va. Ce jour-là, elle était rayonnante. Ses démons devaient être partis en vacances eux-aussi et j’espérais que ça durerait un peu. La distance entre nous ne me permet plus de venir à son secours aussi rapidement qu’avant. Elle devient adulte sur le papier, mais en réalité, malgré ses vingt ans elle est toujours mon bébé et mes angoisses, loin d’avoir diminué, viennent, à intervalles réguliers, ponctuer mes nuits.

    – Maman ! Faut que je te raconte…

         Ses joues roses et ses yeux brillants parlaient pour elle, je savais ce qui allait suivre.

    – Toi, t’as rencontré un mec !

         Son sourire s’est allongé et elle a pris cet air faussement gêné que je lui connais si bien.

    – Mais comment tu sais ?

    – Je sais tout. Je suis ta mère ! Alors ? Dis moi…

         L’heure qui suivit dura à peine trois minutes, c’est toujours comme ça avec les gens qu’on aime. Nous en étions à la session de bisous virtuels suivie de l’habituelle promesse de m’écrire dès qu’elle serait rentrée chez elle après son service du soir  quand le son tonitruant d’un moteur a fait s’évaporer, en une demie seconde, le nuage de paix qui enveloppait mon jardin.

    – C’est quoi ce bordel Maman ?

    – Devine…

         Je n’ai pas eu besoin de me lever pour identifier la provenance de la nuisance. Depuis que nous avons emménagé dans ce quartier paisible, une seule ombre au tableau vient, régulièrement, rompre la douceur de notre existence : il s’agit de Régis, le sombre con qui nous sert de voisin. Là, par exemple,  en ce doux matin d’été, il n’avait rien de mieux à foutre que de sortir sa grosse tondeuse thermique pour entretenir les douze mètres carrés qui lui servent de jardin… De mars à octobre, tous les quinze jours, il flingue la tranquillité de notre rue alors qu’une bonne paire de ciseaux peut largement faire le job. 

    – Tu sais maman, t’es en vacances. Peut-être que tu devrais partir quelques jours. Ça te ferait du bien, non ?

         Ah non ! Elle n’allait pas s’y mettre elle aussi ! En rentrant dans la maison, j’ai lancé un regard vaudou vers  Régis, j’ai claqué la porte et me suis mise à prier pour qu’une famille de taupes prenne ses quartiers sous sa pelouse de merde. Je déteste ce type… Et je l’ai compris dès notre première rencontre, la semaine de notre emménagement, il y a quelques années.

     

         On venait de récupérer les clés de la maison et je ne vendais mon appartement que quelques jours plus tard. Nous avions profité de cette transition pour faire des travaux de rénovation. Je passais mon temps libre à faire des aller-retours entre mon futur ex chez moi et notre nouveau chez nous, transportant ce que j’estimais trop fragile pour être confié aux déménageurs. Ce jour-là, j’avais amené les plantes d’intérieur et je m’étais garée dans la rue, à la place libre la plus proche de notre porte d’entrée. Deux heures plus tard, quand j’ai voulu récupérer ma voiture, j’ai rencontré sa connerie avant même de l’avoir croisé, lui, en personne; Ma voiture était toujours là bien-sûr, seulement,  il m’aurait été impossible de la bouger, même avec une option de décollage automatique :  Deux véhicules l’encadraient, pare-chocs contre pare-chocs, on aurait dit un prévenu entre deux flics super balèzes. Je m’étais mise à scruter la rue dans l’espoir de trouver qui pouvait avoir eu la brillante idée de m’emprisonner quand un blondinet d’une quarantaine d’années en costard gris et chaussures pointues était apparu sur le seuil de sa maison. Il me regardait, sans rien dire.

    – Bonjour. Excusez-moi de vous déranger. Vous ne sauriez pas à qui est cette voiture par hasard ?

    Pas de réponse. Son regard se perdait désormais au loin, comme s’il était en pleine réflexion. Il m’ignorait superbement, mais je ne m’étais pas découragée.

    – Excusez-moi. Bonjour. Est-ce que c’est votre voiture là ? Juste derrière la mienne ?

         Soudainement intéressé par mes paroles, il s’était  approché et avait regardé longuement ma petite bagnole cernée par deux modèles électriques dernier cri. Sa chemisette étriquée doublée de la monture en écailles qui mangeait son visage me confirmait ce que j’avais déjà compris : cette voiture était la sienne. 

    – Vous ne pouvez pas vous garer là. 

    – Comment ça, je peux pas me garer là ? 

         J’avais jeté un œil alentour. Le marquage au sol indiquait bien qu’il s’agissait d’une place et aucun panneau ne contredisait cette information.

    – Non, tout le monde le sait. Cette place est devant ma maison. C’est moi qui me gare là. C’est tout.

         Et tout le monde sait aussi que t’es un gros connard de merde ? T’as acheté la rue ? Abruti ! Plus courageuse à l’écrit qu’à l’oral et dotée d’une répartition à retardement, je n’avais évidemment pas prononcé ces paroles à voix haute. J’avais inspiré lentement, m’étais approchée de lui et sur un ton que j’avais essayé le plus neutre possible je lui avais demandé s’il pouvait avoir l’amabilité de déplacer sa putain de caisse à la con afin que je puisse récupérer ma petite voiture ridicule qui n’était pas alimentée par une batterie au lithium. Connard. C’était notre première rencontre et si depuis on n’est jamais passé dans une émission animée par Julien Courbet, c’est uniquement parce que Stéphanie m’a appris la méditation. 

         Toute la semaine dernière j’ai dû ronger mon frein. Après la pelouse, il a enchaîné avec sa haie, décimant probablement plusieurs familles de dizaines d’espèces d’êtres vivants. Quand il a sorti un pulvérisateur rempli d’un produit toxique quelconque, je fulminais derrière ma fenêtre comme une vieille pie réac qui, ses bigoudis sur la tête, regarderait, cachée derrière ses rideaux, des jeunes en train de foutre le bordel sur leurs bécanes débridées.

    – Tu vas te gâcher tes vacances à cause de ce débile ?

         Yvan, parce que, je ne vous l’ai pas encore dit, mais c’est bien lui mon mec, celui dont je vous avais raconté la rencontre dans mon roman, bref, il venait de me servir un verre et préparait le plateau de Backgammon sur l’îlot de la cuisine.

    – Allez, viens ici et oublie-le cinq minutes. Tu devais pas réfléchir à un projet un peu plus constructif ?

    – Je sais pas. Y a rien qui me vient. 

         Je venais de perdre une semaine entière à réfléchir à ce que je pouvais bien faire de mon été. Et un vide immense commençait à coloniser mon esprit, entachant mon moral ensoleillé de prof en vacances. Est-ce qu’il fallait que je fasse du sport ? Depuis que j’ai arrêté de fumer, même si mon mec me dit le contraire, mes fringues me répètent sans cesse que j’ai pris du poids. Ou peut-être que je pouvais me mettre au jardinage ou combler mes lacunes littéraires en lisant enfin Proust pour de vrai ? Je pouvais aussi réaménager la chambre de Louise, ça fait des mois que je veux en faire un bureau-chambre d’amis. Je pouvais aussi apprendre la couture, j’ai cette machine, héritée de ma grand-mère qui traîne dans le garage, c’est dommage de ne pas l’utiliser. Toutes mes élucubrations n’intéressaient absolument pas Yvan qui a quitté la cuisine quelques secondes pour revenir aussitôt, un bouquin à la main. Il m’a embrassée, s’est assis, laissant le livre dans mes mains. J’ai baissé les yeux, c’était un exemplaire de mon roman. Il m’a regardée et m’a souri.

    – Y a rien qui te vient ? T’es sûre ? Tu crois pas qu’il est temps de te remettre à écrire ?

         Content de son petit effet, il est allé mettre le concert de Vulfpeck sur les enceintes du salon, me laissant, seule, avec mon petit moment de gloire de 177 pages dans les mains. Je l’ai feuilleté machinalement sans vraiment m’attarder sur les centaines de phrases que j’ai produites il y a maintenant cinq ans. Cent-soixante-dix-sept pages… J’ai repensé à Flo qui, dans sa délicatesse légendaire, et alors que je ne lui avais pas demandé son avis, m’avait quand-même dit “Quoi, c’est tout ? Ecoute le prends pas mal hein, mais j’ai l’impression que t’as pas écrit la moitié du livre que tu voulais écrire”. Et si, finalement, elle avait raison ? Est-ce que j’avais vraiment tout réglé avec ce bouquin ? Est-ce qu’il ne méritait pas une suite ? J’ai tourné les pages jusqu’à trouver la première, celle qui contient la citation de Victor Hugo que j’avais choisie pour l’introduction de mon récit. “Ce livre est écrit beaucoup avec le rêve, un peu avec le souvenir. Rêver est permis aux vaincus; se souvenir est permis aux solitaires.” J’ai attrapé mon carnet et, à la plume, j’y ai recopié cette dernière phrase : “se souvenir est permis aux solitaires”.

    à suivre…

  • Carnet de (non) voyage – épisode 1


    Je suis spécialiste pour me fourrer dans des situations insupportables avec des gens que je n’ai pas choisis, à faire des choses que je ne veux pas, juste parce que j’ai toujours été incapable de dire non à qui que ce soit.

  • Une fille du net


    J’ai pris l’habitude, avec l’âge, de ne plus me préoccuper des concepts sur lesquels je n’ai aucun pouvoir : le temps qu’il fait donc, mais aussi le temps qui passe, la stupidité d’une bonne partie de l’humanité et l’état de la chambre de ma plus jeune fille…

  • La fille du livre


    C’est très facile de retrouver son nom dans une liste. On l’a tellement écrit ou lu dans sa vie que c’est le genre de mots qu’on ne déchiffre plus, on le reconnaît. C’est entre Meredith Le Dez et Frédéric Baptiste que je me suis finalement trouvée : Hélène Deschepper.
    J’ai blêmi.

  • Embrouille grammaticale


    C’était en 1996. J’étais en seconde. Assise sur une chaise inconfortable du lycée Picasso dans le bled du Nord-Pas-De-Calais dans lequel j’ai grandi, je regardais par la fenêtre, essayant d’apercevoir ce mec de terminale qui ne m’aimait plus, et là, au milieu d’une explication de texte, mon prof de français, sans s’en apercevoir, a déclenché dans mon coeur d’ado, un amour inconditionnel pour les mots…