L’effet mouche


Demain, ça fera une semaine que je ne suis pas allée en cours. Jusque là, rien d’extraordinaire. Ça m’arrive tous les six semaines. (Oui, je suis prof, les gens aiment nous détester pour ça, on est habitué). Bref, passer du temps à la maison, je connais bien. J’adore ça. Et j’avoue (timidement parce que c’est pas très politiquement correct) qu’en partant de mon établissement la semaine dernière, j’ai ressenti la même joie qu’à chaque nouvelle période de vacances. 

De 5 minutes, j’allais passer à un C.D.I. de temps libre ! Comment aurais-je pu ne pas sourire ? 

Pendant le trajet du retour, j’avais élaboré une liste détaillée de tout ce que j’allais faire de méga trop cool : Repeindre mon appart, terminer et envoyer mon roman à des maisons d’édition, réviser mes choré ou faire un plaid au crochet. 

Demain, ça fera une semaine que je ne suis pas allée en cours. Et rien de tout ça n’est arrivé. Ce n’est pas pour me trouver des excuses, mais quand même…

Jour 2, j’étais prof de veille. Je suis allée au bahut faire des photocopies pour les mômes qui n’ont pas d’équipement informatique. Oui, sachez-le, tous les gens ne sont pas, comme vous, dotés d’un appareil leur permettant de lire ma prose ou toute autre info particulièrement utile… Le confinement, c’est comme la vraie vie. Inégal.

 En rentrant, j’ai lu le témoignage d’une nana frappée par le virus et qui nous priait de rester chez nous. Elle expliquait que c’était vraiment pas cool. D’après elle, les premiers signes de la maladie ressembleraient à une gastro qui ne veut pas se déclarer. Du coup, j’ai eu la nausée. Depuis, j’ai doublé la durée du lavage de mains, brumisé du ravintsara sur toutes les poignées de porte et annulé tout câlin avec mes enfants jusqu’à nouvel ordre. J’ai essayé d’écrire. Mais dans mon roman, il n’y a aucun zombie et pas le moindre rhume, du coup, mentalement, j’y étais pas. J’ai laissé tomber. Et puis parcourir la presse toutes les demies heures, ça prend du temps. Et le télétravail, quand tu ne l’as jamais pratiqué, ben ça te bouffe la journée. J’ai eu le sentiment qu’une sorte de e-présentéisme s’était installé dans notre équipe. Comme si chacun d’entre nous avait besoin d’envoyer des dizaines de messages aux collègues pour prouver à tous qu’il bossait. Soir 2 arrivant, je me suis dit que je rattraperai ce vide intersidéral par un confinement rapproché avec Binôme, mais j’avais toujours la nausée. J’ai retenu ma respiration dix secondes pour vérifier si mes poumons allaient bien. Mes poumons allaient bien. Et je me suis endormie en bavant sur mon oreiller.

Jour 3, j’ai regardé les flics passer dans la rue. Plusieurs fois. J’ai écouté les mouettes crier. Assise sur le bord de la fenêtre, avec ma voix de crécelle et la guitalélé à la main, j’ai eu le sentiment qu’elles se foutaient de ma gueule.  J’ai reniflé mes aisselles pour vérifier mais, a priori, je pouvais encore attendre un jour ou deux. Je m’ennuyais alors j’ai essayé de faire une sieste mais il y avait une mouche en train de faire sa toilette avec une précision déconcertante. En temps normal, je l’aurais virée d’une grande baffe dans sa sale tronche de bouffeuse de merde. Mais là, je me suis dit que si on était des mouches, on n’en serait peut-être pas là. J’ai attrapé mon téléphone et je l’ai filmée. J’ai eu envie de mettre la vidéo dans ma story, c’est à ce moment-là que j’ai compris que je touchais le fond, que j’étais restée enfermée trop longtemps. Je me suis rédigé une autorisation de sortie pour aller promener mes enfants en laisse. Et je n’ai rien fait de tout ce que j’avais prévu de méga trop cool…

Demain, ça fera une semaine que je ne suis pas allée en cours. Jusque là, rien d’extraordinaire. Ça m’arrive tous les six semaines. Sauf que cette fois, je ne sais pas combien de temps ça durera.  L’oisiveté a sans doute besoin d’une durée limitée pour être appréciée. Ou peut-être faut-il du temps pour apprendre à apprécier l’oisiveté ? Je l’ignore. On est, à coup sûr, en train de le découvrir…

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