Seule et bien accompagnée ?


J’ai fait une boum toute seule.

Garde alternée oblige.

Binôme s’en était allé. Pour s’occuper de ses enfants. Les filles dormaient. Mes copines de boum, avec lesquelles on se déchaîne sur 4 Non Blonde environ douze fois par an, une cuillère en bois à la main, n’étaient pas là.

Ben non.

Personne n’est là en ce moment.

Pourtant, on n’a jamais vécu autant de samedis soirs de suite. Belle ironie.

J’ai failli appeler mes vieilles amies. Celles avec lesquelles je n’ai pas encore pris le temps de partager ce moment si étonnant. J’ai pensé à certaines, hésité. Mais je n’étais pas sûre d’avoir envie de parler. 

J’avais envie de faire une boum. Pas un débat. Le 11 mai, le droit de retrait, les mômes empêchés, nos peurs et la slow life, le medef et Tchernobyl, le plateau épidémique, et si on essayait un monde sans fric ? 

J’en n’avais pas envie. Parce qu’à cet instant, à part attendre, je n’avais pas grand chose à faire. Et on ne dirait rien de plus intelligent que ce qu’on avait lu en boucle sur les réseaux.

J’avais une bouteille de blanc dans le frigo. Je l’avais achetée, au cas où.

Au cas où la solitude serait trop lourde à porter. Au cas où, d’un coup, en vingt sept minutes et quelques secondes, dans son beau costume bien repassé et le teint un peu trop hâlé, il nous dirait “allez, c’est bon, déconfinons. Maintenant.”

Il faisait chaud. J’avais utilisé mon heure autorisée, dans mon kilomètre légal, pour parcourir la ville à bord de ma trottinette. C’était un bel après midi, presque estival. C’était une raison suffisante pour déboucher ma bouteille. J’ai, depuis longtemps, dépassé la honte de boire un verre toute seule. 

J’ai fait une boum donc. 

Sans personne.

C’était chouette. Pas de concession musicale. Pas le moindre soupçon de honte. Même quand j’ai mis le même morceau trois fois de suite. Je ne vous dirai pas lequel. J’ai trop d’égo pour ça. 

C’était chouette parce que ça fait du bien d’être seul avec soi-même de temps en temps. Ça fait du bien de penser sans aucune interruption. Il est plaisant de rêver sans avoir à écouter les envies, les rêves et les frustrations de quelqu’un d’autre. 

J’ai inventé une choré à faire pâlir Béjart, incarné Piaf comme personne, j’ai croisé mon reflet dans la fenêtre et je me suis trouvée plutôt pas mal sans maquillage. Plus jeune. Plus authentique. Le cendrier s’est rempli moins vite qu’à l’accoutumée et je n’avais qu’un seul verre à laver avant d’aller me coucher.

Une boum plus propre et moins onéreuse. 

Une boum toute seule.

Il y a toujours ce moment, en soirée, où tu t’extrais un peu de la teuf. Pour reprendre tes esprits, regarder la fête se dérouler sans toi ou juste fumer une clope sur la terrasse. Ce moment où tu es assez aviné pour croire que le morceau qui passe à été écrit pour toi, ces quelques minutes où les étoiles t’envoient un message personnel, cet instant où tu te dis que t’as des supers amis et que cette boum restera parmi les meilleurs moments de ta vie. 

A défaut de terrasse, je me suis assise sur le bord de la fenêtre. La soirée était douce. J’étais bien. Pourtant, quelque chose clochait et je n’ai pas mis longtemps à identifier le problème. De l’intérieur, aucun éclat de rire. Alex ne faisait pas sa danse de la hanche, Céline ne glissait pas à genoux sur le parquet, Caty ne massacrait pas Cocciante. Marianne ne remplissait pas mon verre et Laurence ne fumait pas de clope sous la hotte. Marine ne vomissait pas dans les toilettes et Anaïs ne sautait pas sur la table du salon.

C’était une boum plus propre et moins onéreuse.

Sans confessions, sans câlins et sans conseils. C’était une boum sans écho, sans chaleur et sans projets d’avenir balancés du bout du cœur. C’était une boum sans le petit dej du lendemain et sans vieux tee-shirt emprunté pour la nuit. C’était une fête sans photo honteuse qu’on pourrait ressortir au prochain anniversaire ou en cas de déprime. 

C’était une boum toute seule.