Le blanc, c’est juste ?


Instants de vie

Un après-midi de printemps. Un thé avec une de mes amies.  

D’ordinaire, avec cette amie-là, on parle botanique, crochet et éducation canine, mais pas cette fois car elle est préoccupée. Ses projections sur les résultats de l’élection présidentielle à venir lui donnent des angoisses. 

La droite contre l’extrême droite.

« Tu te rends compte ? »

« Ben oui »

Rien de nouveau sous le soleil. Les élections présidentielles se suivent et se ressemblent. Je m’interroge. Si je me concentre bien, que j’y réfléchis pour de bon, est-ce que la situation m’angoisse un peu ? 

J’inspire lentement. Par la fenêtre, sur la portion de terre que je viens de bêcher,  j’aperçois un merle en train de tirer, de son bec, un gros ver. 

Je ne suis pas perturbée. Du tout. 

Blasée sans aucun doute.

Mais je dois bien reconnaître que ma capacité à être sidérée me quitte. 

Je lui pose sa tasse de thé sur la table. Je m’assoie face à elle et lui annonce que je vais voter blanc. 

Ma décision me paraît plutôt honnête. Je n’avais choisi aucun de ces candidats au premier tour, je ne vois pas pourquoi, soudainement, je devrais me rabattre sur l’un d’entre eux. 

« Nan, mais dans ce cas là, autant ne pas y aller. »

Mon annonce ne l’apaise pas. Évidemment. Sa dernière phrase rebondit quand même contre les parois de ma boîte crânienne. 

Autant ne pas y aller.

Autant ne pas y aller ?

Comme un écho.

L’abstention ne me séduit pas. L’abstention est un fourre tout dans lequel on trouve quelques convaincus, bien-sûr, mais surtout des lendemains de cuite trop violents, des journées en bord de mer ou des canapés hyper accueillants. 

L’abstention, c’est trop facile. 

Sur son monticule de terre, le merle a réussi à chopper le lombric. Il le gobe tranquillement. Sa gorge enfle à chaque avancée de l’animal vers son estomac. C’est un peu dégueu.

Il y a un citoyen qui se déplace, qui réfléchit et qui agit derrière chaque bulletin blanc déposé dans une urne. Voter blanc c’est exprimer un avis. C’est dire au monde que l’on a bien saisi son rôle de citoyen, qu’on veut bien jouer, mais que personne ne nous a convaincu pour mener la danse.

« Hélo ! Si tu fais ça, elle va passer, c’est sûr ! »

Son emphase m’amuse. Elle me dit ça comme si, de mon unique voix, j’allais influencer le résultat. Le colibri n’éteindra jamais l’incendie.

Elle va passer. Celle dont on n’a même plus besoin de prononcer le prénom. Son usage du pronom personnel provoque soudain, chez moi, une décharge d’adrénaline.

Bien sûr que chaque voix compte. Dans toute exagération, il y a une part de vérité. Je le sais. La somme de tous les colibris aura toujours plus de chances de maîtriser le feu. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’il y a cinq ans, je n’avais pas voté blanc. J’étais venue grossir les rangs de ceux qui votaient contre. Nos millions d’ailes réunies pour édifier un barrage solide contre ce que l’humanité possède de plus égoïste et de plus cruel.

Voter contre.

Voter contre ?

Je me sens aussi enjouée que si, pour le dîner, je devais choisir entre des choux de Bruxelles et de la cervelle de porc. Puisque je ne mange pas de viande, je n’aurais d’autre alternative que de me taper l’amertume des choux.

 Par défaut.

 Parce qu’il faut bien que je bouffe.

 Parce que c’est ce qui me fera le moins de mal.

Dans un système pertinent, le vote blanc permettrait de se rendre compte qu’aucun des invités de ce soir n’est vraiment très chaud, ni pour les choux, ni pour la cervelle. Et il suffirait d’élaborer une nouvelle liste d’aliments jusqu’à trouver celui qui mettrait tout le monde d’accord.

Malheureusement, le vote blanc n’est pas le troisième candidat. Ce sera l’un ou l’autre. On ne rebattra pas les cartes. Les élections présidentielles, c’est pas une partie de belote lors de laquelle, personne n’a pris l’atout. Même s’ils étaient majoritaires, on ne demanderait pas l’avis des végétariens allergiques aux choux de Bruxelles. 

Le merle a fini d’aspirer son ver. Il sautille, plutôt lourdement, jusqu’à la clôture. 

Notre thé terminé, mon amie est partie. Je parcours mon jardin en friche. Je ramasse les outils qui traînent. A chaque jour suffit sa peine. Mon amie est partie, je regarde autour de moi. Elle a oublié d’embarquer ses doutes et ses angoisses avec elle. Je les sens murmurer en moi. Cela faisait plusieurs jours que je m’étais débarrassée de toutes ces questions en décidant de voter blanc. Je trouvais dans ce choix une forme de repos de l’esprit, une distance qui m’allait bien.

Mon amie est partie et je ne suis plus sûre de rien.

Un nouveau ver s’agite à mes pieds. Je lève les yeux, le merle a disparu. 

Je rejoins mon chéri, c’est l’heure de boire une petite bière.

Je passe la porte, il se retourne vers moi :

« Un verre de vin ou un mojito ? »

Une bière, bordel ! Je voulais une bière.

… 

Dans un système pertinent, il y aurait aussi de la bière dans le frigo. Malheureusement, il n’y a pas de troisième candidat. Je prendrai donc un mojito. 

 

Leave a Reply