Ailleurs

Fin octobre, un lundi, il est 7h50. Je quitte le cocon familial emmitouflée dans mon écharpe «tête de mort» rouge. Cette même écharpe qui, quelques mois plus tôt avait servi à me protéger la tête des rayons brûlants du soleil lors des Vieilles Charrues. Je frissonne, m’installe au volant de ma 500 et allume Europe 1. Je regarde autour de moi; de la brume,  la nuit et je me dis que quelque part, « il y a certainement appuyés sur des bancs, quelques hommes qui se souviennent»*. Octobre m’a prise,et je rêve d’être ailleurs.

 

 

Oui, ailleurs… Mais ailleurs, c’est où? Je me prends à réfléchir à l’endroit précis où je me trouve. A Quimper, dans le Finistère, en Bretagne, en France, en Europe, sur la Terre. «Ailleurs est une sphère infinie dont le centre est ici.» **

Je m’aperçois que franchement,la Terre, comme planète, c’est plutôt cool. Sur Mercure, il doit faire carrément trop chaud et puis, si on a quitté Vénus, ce n’est pas pour y retourner, il n’y a pas d’hommes là bas…  Je pousse plus loin ma réflexion et je me rends compte qu’en France on est plutôt bien aussi. D’un point scientifique, on est bien loti; pas de volcans dangereux, de tremblements de Terre ni de tsunami (à part en Vendée, mais qui a envie de vivre là-bas franchement?). D’un point de vue social quoiqu’on en dise, je suis sûre qu’on y est mieux qu’en Grèce. Même «s’il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.»

En puis, surtout,  Je vis en Bretagne. Comment pourrais-je être mieux ailleurs? Les crêpes, les festivals, la rue de la soif, St Malo, les Abers, les menhirs, la roche tremblante, la rue de Siam, Ouessant, Concarneau, mes amis, mon petit jardin, la place St Co… Bien sûr, il y a des endroits nuls en Bretagne, des bleds qui ne servent à rien, mais c’est toujours la Bretagne.

«Là où les eaux se mêlent, là où se finit la Terre, là où est si grand le ciel, là où se bat la mer»***, ben là, on est bien.

Le trajet jusqu’à l’école touchait à sa fin. Je n’avais même pas prêté attention à l’interview d’Elkabbach. J’étais ailleurs ce matin là et pourtant, je rêvais d’ici…

 

 

Mais l’homme est ainsi fait, il a une capacité assez surprenante à être insatisfait. Le truc, c’est que même quand on est bien, on trouve toujours le moyen de se dire qu’ailleurs serait nettement mieux, parce que différent, parce qu’autre, parce que nouveau. On a tous cette propension à croire que l’herbe est toujours plus verte dans le champ d’à côté. Et puis, soyons honnête, la vie nous fait passer des moments fort désagréables qui nous donnent envie de fuir. Alors, être ailleurs, ça peut aussi être à un autre moment. Et des moments douloureux, on en vit tous les jours.

 

 

-quand dans une soirée entre amis, les enfants décident de te montrer un spectacle et qu’ils t’annoncent que ça va durer huit chansons (8 x une moyenne de 3 minutes 30)

-Quand tu demandes à un élève le double de 4 et qu’il te répond 44, tu soupires très fort à l’intérieur de toi même.

-Quand t’as décidé d’aller voir Happy Feet pour faire plaisir aux enfants et que tu as honte pour les gens qui ont créé ce dessin animé.

-Quand t’es à la rue parce que L’Homme n’a pas compris que tu n’avais pas tes clés.

-Quand tu fais la queue chez Disney. Sur une journée de 8 heures à 100 balles, tu attends en moyenne 4H30…

 -Quand tu es sur un canapé rouge en forme de bouche, qu’une caméra est sur toi et que tu sens que vraiment, tu n’es pas du tout télégénique.

 -Quand tu es en voiture, que c’est toi qui conduis, que l’Homme est à côté, qu’il n’y a aucune issue et qu’il décide de te parler de l’état du compte en banque, des papiers à signer, de la prochaine visite chez l’arrière grand-mère ou de ta mauvaise manie de doubler à la dernière minute.

 -Quand tu es en voiture, que c’est toi qui conduis et que tes enfants ont décidé de se disputer la gourde Astérix du Macdo. Qu’il y a surenchère de cris, de coups et que tu finis par te prendre la gourde dans la tête. En plus, il n’y a même pas de potion magique dedans.

 -Quand tu t’observes dans le miroir, que ton teint est d’une pâleur fantomatique, que tes cheveux n’ont plus d’éclat et que tes robes légères prennent la poussière dans ton dressing. Là, tu voudrais être partout ailleurs, mais surtout n’importe où en été.

 

 J’ai repensé à ce film de Woody Allen, Midnight in Paris. C’est l’histoire d’un jeune écrivain américain épris de Paris et qui vit dans la nostalgie des années folles qu’il n’a pas connues, mais qu’il imagine comme l’âge d’or de la civilisation. A travers un voyage dans le temps, il comprend qu’à chaque époque on rêve du passé et d’endroits magiques, de terres inconnues. On comprend que l’âge d’or et l’endroit magique, c’est à nous de les créer car la vie c’est maintenant et ici. 

 

Oui, nous avons besoin d’ailleurs pour apprendre, pour rêver, pour déconnecter, mais il est vain de croire que nous avons besoin d’ailleurs pour recommencer. J’ai plusieurs amis en ce moment qui envisagent sérieusement de s’en aller, sans se retourner. On peut s’enrichir d’ailleurs, mais il faut se battre pour être heureux ici. Lorsqu’on part, on part avec ses problèmes. Fuir n’est pas une solution. «Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici»****

 

 

 

Mais être ailleurs, un autre moment, ça coûte cher. Vous connaissez le prix d’une DelLorean volante vous?

Alors, je me suis mise à trouver des astuces pour avoir l’impression d’être ailleurs, tous les jours, un petit peu…

 

 

  •  Je me suis souvent demandée ce que ça donnait le sexe, dans une langue étrangère. Comme voyager, ça coute cher, j’ai suggéré à l’Homme d’essayer. Il a été plutôt timide. J’ai du diriger la manoeuvre. Mais comme déjà en français, c’est pas toujours évident de trouver des mots un peu sexy sans être au choix : vulgaire, chochotte ou éducative . Alors, dans une langue étrangère… J’ai donc décidé de juste parler. J’en ai profité pour réviser mon vocabulaire. En gros, j’ai raconté l’histoire du chat qui m’avait sauté dessus pour échapper au chien qui voulait jouer avec. Cette conversation n’était ni intéressante ni sexy, mais j’ai vraiment un accent mignon quand je parle anglais. Donc ça a marché. J’ai adoré faire l’amour en anglais. Ca change.
  • Dans une maison d’amis, il y a un mur rouge sur la terrasse. Les maisons de l’endroit où je vis ne sont pas particulièrement belles. J’veux dire, ce ne sont pas les jolies maisons en briques rouges des chtis. Non, elles sont d’un blanc sale. Parce que dans ma bande de potes, on n’a pas vraiment les moyens de payer un ravalement. En gros, les banques vont posséder notre maison encore au moins vingt ans. Bref, les habitations  sont un peu grises. Sauf sur cette terrasse. Quand le vendredi, je vais boire un verre là-bas, je suis ailleurs. Quelque part sur une île ensoleillée où il y a du rhum et des fleurs qui sentent bon.

 

  •  J’écoute Cesaria Evora et son petit Pays, Luz Casal et son Piensa en mi, je relis Un été dans l’ouest de Philippe Labro, je regarde le premier Cri, je vais au sushi bar ou chez Gandhi en face du théâtre Max Jacob, je vais me promener au bois du Nevet, je m’enduis de Monoï même en automne… Vous avez saisi, j’inonde mes sens d’ailleurs.

 

Heureusement, la vie est gorgée de moments et d’endroits plaisants. Le matin, lorsque sonne le réveil, je me souviens que vraiment, mon lit, c’est du bonheur à l’état pur. Je crois que c’est ça le secret, trouver en chaque instant, en chaque endroit où se cache le merveilleux. Ma petite fille vient de rentrer, elle a trouvé des «sleurs et une lalumette» dans le jardin. Ca a l’air de la mettre en joie. Or, «la joie, c’est en nous qu’on la trouve, pas ailleurs.»****

*Cabrel, Octobre

** François Cavanna

*** Je ne serai jamais ta Parisienne, Miossec pour Nolwenn Leroy

**** Eugène Guillevic

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