-Maman !!!
-Huum, oui, attends….
-Ma maman chérie d’amour !! Regarde!
-Chuut !
-Maman, regarde le bonhomme avec le gros coeur que j’ai dessiné pour toi.
-Attends, je te dis, je finis d’envoyer mon message.
Là dessus, l’enfant emporte son dessin et puis le range, sans autre forme de procès.
Cette scène, tristement vraie, je l’ai vécue des dizaines de fois. Les acteurs changent la grande soeur, la petite, l’Homme, mon amie… Ils ne me dessinent pas tous de jolis gribouillages en forme d’amour, mais l’intention est toujours la même et ma surdité du sentiment également.
Et puis, j’ai écouté attentivement le discours de Bérénice Béjo lors de la cérémonie d’ouverture du festival de Cannes. Bruit, silence… Elle nous suggérait ou plutôt intimait l’ordre à quiconque parle trop ou pour rien de la fermer.
Tais-toi. Toi qui dis à ton enfant qu’il ne faut pas rêver, que tout ça c’est pas possible !
Tais-toi. Toi qui cherches la petite bête. Toi qui râles, toi qui aurais voulu que le film soit plus ceci, soit plus cela… Toi qui te moques de ceux qui regardent les films avec de grands yeux d’enfant.
Tais-toi. Les hommes, ça ne pleure pas ? Tais-toi.
Tais-toi. Les films qui marchent, c’était prévu ? Tais-toi.
Tais-toi. Les films qui ne marchent pas, c’était prévisible… Tais-toi.
Et surtout, surtout toi. Qui réponds au téléphone en plein milieu de la séance. Tais-toi.
J’ai eu l’impression qu’elle m’interpelait personnellement, je me suis prise une claque dans la gueule. J’ai repensé à l’un de mes tout premiers articles où je clamais Oh combien mon Blackberry comptait pour moi ( Moi et mon téléphone portable )Je me suis sentie toute petite, superficielle, stupide.
J’ai emporté mon téléphone, l’ai symboliquement enterré au fond de mon tiroir à sous-vêtements, sans autre forme de procès.
J’ai réfléchi quelques jours avant de réellement mettre en pratique mon expérience de retraite téléphonique. Il fallait que je choisisse quel moment serait le plus approprié. Pendant le temps scolaire c’était inconcevable, je ne pouvais m’imaginer en rupture totale avec mes filles en cas de gastro ou autre jambe cassée dans la cour de l’école. Je ne pouvais pas non plus passer pour morte auprès de ma hiérarchie, ils l’auraient pris pour de l’absentéisme. Il ne fallait pas non plus qu’une date avec ma troupe de danse arrive au même moment, sinon, j’aurais raté le coche. Se couper du monde, c’est se couper du monde. Il faut y penser avant.
Le jour J, j’ai épluché mon répertoire, prévenu les personnes avec lesquelles je communique le plus. J’ai ensuite parcouru tout mon fil d’actualité pour être au fait des derniers évènements de mes «amis». J’ai regardé si je pouvais gérer la page Facebook de «5 minutes» sans avoir besoin de passer par ma page personnelle. Ces dernières bouffées de civilisation, je les ai respirées comme le condamné allume sa dernière cigarette. Et ensuite, comme si j’allais à l’échafaud, j’ai éteint mon Blackberry.
Pour être tout à fait honnête, j’ai vécu ma première journée de sevrage, comme une première journée de sevrage… J’ignore tout de vos addictions, mais la vie m’a imposée certaines d’entre elles. Mes traversées du désert, mes crises de doutes et mes déboires sentimentaux m’ont parfois poussée dans des états de déchéance totale et de passages à vide que seuls les psychotropes ou autres objets transitionnels peuvent réparer. Je connais les méandres de l’auto-rehab. Lorsqu’on a décidé qu’on se relèverait de ses blessures, que l’on n’avait plus besoin de rien de superflu pour vivre, on passe par différentes étapes:
-La conviction que l’objet ou la substance ne nous est d’aucune utilité.
-La décision de s’en passer.
-Le moment où l’on vire l’ennemi de notre vie.
-Les soirées où l’on comprend que nous n’étions pas les seuls «drogués» et que d’autres auraient besoin d’un break aussi.
-l’envie et la colère à l’égard de ceux qui n’ont pas arrêté.
-la sensation d’être plus fort que les autres parce que nous, on s’en passe aisément.
-La rechute, un soir de faiblesse parce que finalement le manque est le plus fort…
Tous ces sentiments m’ont habitée lors de ma semaine sans portable. J’ai détesté mes copines lorsque, pendant l’apéro, elles jetaient un oeil à leur fil d’actualité ou envoyaient un sms sentimentalo-pathétique à leur mec resté à la maison. Je me suis sentie forte lorsque je me suis aperçue que je n’avais pas pensé à mon téléphone depuis 48 heures. Quand ma grande m ‘a demandée si j’avais déjà été Miss France, j’ai pris sur moi pour ne pas le poster en statut, statut qui, à coup sûr, m’aurait valu des «j’aime» et donc la preuve d’une certaine cyber-popularité. J’ai eu honte de moi lorsqu’au moment de choisir mon soutien-gorge, j’ai failli l’allumer sans le dire à personne, juste pour voir…
Mais finalement, vivre sans téléphone quelques jours m’a permis un tas de choses, car mine de rien, à force d’être avec les absents, on en oublie le présent:
-j’ai relu «Tchoupi n’a pas sommeil» à ma petite dernière. En général, le soir, je papote des heures avec mes copines et du coup, j’expédie les filles au lit en quatrième vitesse.
-J’ai reconduit à deux mains et en regardant la route.
-J’ai rebranché mon simulateur d’aube pour me réveiller, vu que le portable perdait aussi cette fonction là. (ça coûte cher un simulateur d’aube, autant s’en servir)
-J’ai gagné de la place dans mon sac à main (une petite place, mais quand même)
-J’ai VRAIMENT surveillé les récré…
-J’ai écouté l’Homme lorsqu’il me racontait sa journée, aucun objet de 10 cm sur 4 ne venait lui faire de concurrence.
-J’ai lu Ouest France que je reçois tous les matins puisque je ne pouvais plus lire les news sur Twitter.
-Je me suis surprise à réécouter Ruquier en sortant du boulot, exactement pour les mêmes raisons. Du coup, je me suis remise à rire des conneries de Benichou qui n’a, que je sache, aucun compte Twitter.
-J’ai terminé le Passager de Grangé au lieu d’éplucher les statuts sans intérêt de certains de mes contacts.
Oui, couper mon portable m’a coupée du monde. Lorsque j’ai déclaré que j’étais totalement addict de mon téléphone j’avais précisé qu’en réalité, j’étais surtout dépendante des gens auxquels il me liait. «Mes amis, mes amours, mes emmerdes».Il y a dans certaines de mes relations, une sorte d’obligation de communication. Lorsque l’un de nous ne répond pas l’interprétation est la suivante : soit il fait la gueule (pour une raison méconnue) soit il lui est arrivé un drame affreux (entendez par «drame affreux» un éventail qui va de la perte du chargeur au terrible accident de voiture).
J’ai fini par aller chercher mon Blackberry. Lorsque je l’ai récupéré, il avait l’air plus malheureux que moi; seul au milieu de mes strings, sans aucune vibration ni le moindre clignotement de LED pour le divertir. Je l’ai descendu sans empressement aucun. Je l’ai regardé plusieurs minutes avant de le mettre en marche. Au fond de moi, je me disais que de toute façon, j’aurais un tas de messages, que j’avais manqué à tous mes amis et je voulais profiter pleinement de ce moment où je découvrirais une cinquantaine d’SOS larmoyants, réclamant à corps et à cris mon retour dans la communauté des «communiquants» à outrance…
… Raté !
J’avais sur mon répondeur, un message de l’homme qui datait du jour de la coupure. Il me disait, en substance, qu’il était étonné de constater que mon téléphone était réellement éteint. Super la confiance!
J’avais aussi un SMS de ma plus jeune soeur qui me demandait des nouvelles et un second deux heures plus tard, un laconique «connasse». Connasse de ne pas répondre immédiatement, connasse de ne pas être là pour elle au moment où elle en avait probablement besoin.
Le dernier message venait d’un commissariat… Comme il datait de quatre jours, j’ai eu un petit coup de flippe. L’agent m’ordonnait très gentiment (aucune ironie pour le coup) de le rappeler très vite…
Je dois bien l’admettre, oublier l’objet m’a un peu fait oublier les gens. Loin des oreilles, loin du coeur, c‘est bien connu. Cet oubli n’avait, bien-sûr, rien de définitif. Cette pause m’a juste rappelée de penser par moi-même, de ne pas solliciter l’avis de toute ma bande à chaque fois que j’ai une décision à prendre. Cette exagération du lien social que provoquent nos téléphones nous enchaîne.
La dernière fois que j’ai vu mes copines, je me suis dit que je n’avais rien à leur apprendre de ma vie, qu’elles savaient déjà tout de mes dernières aventures et réciproquement. Il ne nous restait plus qu’à prendre l’apéro…
Cette expérience fut très riche d’enseignement pour moi. Mon utilisation du téléphone est redevenue normale depuis. Je l’éteins le soir pour être dans mon cocon et j’envoie des sms pour inviter mes potes plutôt que pour raconter ma vie. Ce nouvel usage destabilise encore un peu certains de mes amis. Mais ils s’y feront. «Couper le téléphone chez soi, de temps en temps, est une jouissance comparable à celle de la ballerine qui enlève ses chaussons et son tutu.»* Mais rassurez-vous, la ballerine a ça dans le sang, elle finit toujours par rechausser ses pointes…
* José Artur, Les Pensées