Sourire

Une entité supérieure m’a demandé de sourire. C’était un jour de pluie. J’étais dans la rue et j’ai fait tomber mon sac à main. Sur la chaussée trempée et sous la grêle, j’ai dû ramasser les accessoires que je transporte partout ; mes deux portefeuilles (parce que je ne sais lequel choisir), ma trousse Mugler avec mon nécessaire de fille, mes câbles de PC et de portable, mes chewing gum Airwaves au cassis, mes ovules spermicides (non, je rigole), mes Rayban sans leur pochette (aie, elles prennent cher les Rayban ), mes « post-it/ fiches de prep », mes tampons (parce que les ovules spermicides ça fonctionne) et plein d’autres choses que je ne peux avouer. Donc, ces objets précieux et totalement intimes se sont étalés à mes pieds, des ados sont passés et se sont foutus de moi. Au début, j’ai pensé « VDM », et après, je les ai juste enviés d’avoir  assisté à cette scène. Une journée où tu peux te moquer, c’est une bonne journée. Alors, j’ai souri.

 

Quand j’y pense, je crois bien qu’on nous demande de sourire souvent, mais qu’on ne s’en rend pas forcément compte.

 

Il m’arrive de tomber sur des affiches où il est écrit « souriez, vous êtes filmés », alors je souris. Mais je ne sais jamais où se trouve la caméra. Alors je fais un tour sur moi-même pour être sûre d’avoir été vue.

 

Dimanche soir, je me suis vautrée dans le canapé. J’ai lancé une Play List de Diana Krall, j’ai observé mon sapin de Noël. Et puis, j’ai repensé à toutes ces lumières dans la rue, j’ai imaginé le réveillon en famille, j’ai visualisé les filles avec leurs paquets, j’ai mangé un dragibus noir et j’ai souri.

Lorsque je suis avec Valé Morgan, la chouette nana qui prend les photos du blog, je souris. Je souris parce qu’elle souhaite que je le fasse, je souris parce que ça renvoie l’image d’une fille cool sur les photos et que ça donne davantage envie de cliquer, je souris parce qu’elle et moi sommes allongées à plat ventre en plein milieu d’un terrain de foot, que je porte un crampon et un escarpin, qu’on est en novembre et qu’on est ridicule. Je souris parce que ça me fait plaisir d’être avec quelqu’un de si optimiste. Quand Valé me dit « souris », je le fais.

 

 

Ce gars qui me lance un coup d’œil mais qui détourne le regard quand il voit que je l’ai remarqué, je finis toujours par lui sourire. Bon, pas de bol, après coup je me rends compte que :

–          Il lui manque une dent. En plein milieu, hein, parce qu’une molaire, au pire, c’est pas grave.

–          Je l’ai déjà envoyé bouler la semaine dernière, mais je ne l’avais pas reconnu.

–          Ce n’est pas un garçon.

–          Il a brisé le cœur d’une copine.

–          Je ne cherche pas d’homme,  je n’ai pas besoin de lui sourire.

 

Je suis arrivée à l’école qui servait de gîte temporaire à la remplaçante que je suis. Je me suis approchée du cercle de maîtresses qui ne surveillaient pas les enfants (en cercle, ça limite le champ de vision). Je me suis dit que, vraiment, cette journée allait me peser. J’allais la passer avec des adultes que je ne connais pas, que je ne reverrai peut être jamais. J’irai faire travailler des élèves dont j’ignore le niveau et dont le prénom est le cadet de mes soucis. Je suis arrivée à hauteur du cercle, j’ai regardé timidement mes collègues de la journée, me suis présentée et j’ai souri. Ça s’appelle un sourire social. Et je suis quelqu’un de très sociable. J’arrive presque à sourire sur commande :

– A ma voisine. Il m’arrive même de lever chaleureusement la main pour lui faire coucou.

– Aux blagues vieilles de dix ans et qui ne m’avaient déjà pas fait rire à l’époque.

– A mon facteur alors qu’il met le courrier des gens en boule dans les boîtes aux lettres qu’il juge inadaptées.

– A cette petite fille qui ne comprend rien à la consigne et qui jette le dé à l’autre bout de la classe. Là, il s’agit de la méthode Coué. Ce sourire a le même effet que si je me répétais dix fois de suite « tu ne tueras point ».

– Aux gens qui m’ont fait du mal. Je refuse de vivre dans la rancune. Alors je souris.

 

Lorsque je suis sur scène, je souris. Mais pas toujours. Parfois, j’affiche juste une petite moue aguicheuse parce que sourire tout le temps ça me fait trembler les joues.  ET aussi parce que je suis une coquine !

 

Chaque matin, pour préparer et conduire les filles à l’école, j’ai l’impression que je suis en échec parental total. Il est 8h40, la petite ne veut pas boire de lait et étale le Nutella sur son tee-shirt, la grande ne trouve pas de culotte et refuse catégoriquement d’aller en classe sans. Alors, je m’énerve, je crie et je m’aperçois que moi, j’ai perdu mes clés et que je n’ai qu’une lentille de contact. Je regarde alors mes filles et intérieurement je leur souhaite bon courage. Elles sont comme moi et ça, ça me fait sourire.

 

« Votre article a bien été publié, souhaitez-vous le partager sur Facebook ? ». Je me connecte, je vais sur la page « 5 minutes pour moi toute seule » (comment ça ? vous ne saviez-pas qu’il y en avait une ?) et là, je partage le lien. J’ai le sentiment du devoir accompli, je sais que Sarah sera contente et que j’aurai des nouvelles de mes amies. Alors je souris.

 

Je ne m’achète pas souvent de CD. Quand je le fais, c’est que vraiment, ça compte. Le dernier en date, c’est celui des Brigitte. J’ai l’impression qu’elles parlent de moi. Alors quand j’entends « j’ai plus d’un tour dans mes bottes et l’attirail de la cocotte », je souris. Je souris lorsqu’elles reprennent Ma Benz, je souris quand elles parodient Claude François et je chante quand elles veulent que les hommes se battent pour elles. Les Brigitte sont mes meilleures amies.

 

Lorsque je ne travaille pas, que l’odeur du café me réveille et que je découvre que l’Homme est allé acheter des croissants. Je ne peux pas m’en empêcher, je souris. En plus, vu sous un certain angle, un croissant, c’est comme un grand sourire…

 

Lorsque j’écoute Raphaël chanter ce qu’il ne fera plus dans 150 ans et qu’à la fin de chaque couplet, il me dit « alors souris », je lui obéis.  Ça me donne envie de lui sauter au cou et de lui dire que la vie est belle.

 

Lorsque la led rouge de mon BlackBerry clignote, cela signifie que j’ai reçu un SMS. Peu importe de qui il provient, quelqu’un a pensé à moi. (Si c’est pour me réclamer le fric que je vous dois par contre, évitez les SMS, attendez qu’on se voit.) Quoiqu’il arrive, lorsqu’on cherche à me joindre, je souris. J’ai le sentiment de faire partie d’un réseau immense et riche, je ne suis pas seule et le savoir me ravit.

 

Nous sommes le 22 décembre. Dans une bonne semaine, nous serons en 2012. Une année toute vierge, faite de promesses, s’annoncent. C’est comme commencer une nouvelle saison de Dexter, on sait qu’on va flipper, rire, se poser des questions, être surpris et à la fin, on sera pressé que la nouvelle saison arrive. La perspective de changer d’année très prochainement dessine sur mon visage un large sourire.

 

Ma jauge de popularité sur « adopte un mec » est plutôt élevée. Mon égo est gonflé à bloc, je souris.

 

Bien sûr, je suis tout à fait consciente que chaque jour nous rencontrons des petites contrariétés qui risquent de saper le moral des plus optimistes :

 

–          Il pleut.

–          Les magasins sont bondés .

–          Quelqu’un a mangé tous les dragibus noirs avant qu’on plonge la main dans le paquet.

–          La tâche de sauce soja de mon tee-shirt préféré n’a jamais voulu partir.

–          Le salaire ne suffit pas à combler le découvert.

–          Il ne fait pas assez froid pour tuer les microbes et du coup tout le monde est malade.

–          Les kilos des fêtes vont encore mettre trois mois à partir.

–          Ils sont en rupture de stock chez Sephora et je n’ai plus de vernis chanel Péridot…

–          Mais c’est quoi ce bouton, là ? Oui sur mon front, en plein milieu ?

–          Ca coûte cher l’essence !

–          Mais pour qui on va voter ?

–          D’ailleurs, je n’ai toujours pas été faire ma carte électorale, restent 8 jours…

–          Va falloir appeler les grands-parents si on veut des étrennes.

–          La maison n’est pas auto-nettoyante.

–          La 500 non plus.

–          Il est 15h30, il est beaucoup trop tôt pour mettre les enfants au lit.

 

Mais peu importe, j’ai décidé de sourire, parce que faire la gueule n’y changera rien. J’ai décidé de sourire parce que ça me va beaucoup mieux, j’ai décidé de sourire parce que « dans 150 ans, on s’en souviendra pas, de nos mauvais choix ». J’ai décidé de sourire parce que comme résolution pour la nouvelle année, ça me paraît bien plus réalisable que de perdre 5 kilos ou d’arrêter de fumer. Vous devriez prendre cette décision vous aussi, parce que c’est dingue, mais, je crois qu’il n’y a rien de plus contagieux qu’un sourire. Parfois on se force un peu au début mais ça finit par venir naturellement. Vous avez déjà fait semblant de bailler ? Si vous le faites bien, vous finissez par bailler pour de vrai, je suis convaincue que pour les sourires c’est pareil. Mais finalement, il me semble que c’est à moi-même que je préfère sourire. « Je préfère sourire à l’intérieur. Je suis une spécialiste des sourires invisibles. Je ne suis pas aussi sérieuse que j’en ai l’air (^^). Quand on m’aura assassinée, quand on fera mon autopsie, quand on ouvrira mon corps, on y trouvera des sourires, une foule de sourires que personne n’avait devinés. »*

 

 

 

*Erik Orsenna, Et si on dansait ? (oui, c’est bien de pomper, ça prouve que je lis des livres, mais rendons à César ce qui de droit)

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