Racines


Jamais je ne me suis sentie exilée. Aucune errance, aucun arrachement, pas le moindre sentiment de perdition. Libre et sans attache géographique. Voilà qui je pensais être…

Si détachée que je pouvais accueillir n’importe quelle culture nouvelle et laisser tomber dans l’oubli tout ce que j’avais pu être.

Une néo-bretonne, voilà qui j’étais devenue. Prête à parcourir le Finistère, à suivre les traces du roi Gradlon, à m’identifier au peuple breton si cher à mon coeur. Depuis toutes ces années, je cultive, avec soin, mes cinq cents mètres carrés bigouden, je fais pousser amoureusement mes deux petites fleurs quimpéroises. Je mange du Kig ha Farz et du kouign-aman. Avec Aelig, Solenn et Fanch, on part faire du Reuz, le samedi soir. Je sillonne les côtes rocheuses, de la pointe du Raz à celle de St Mathieu, je me jette dans l’océan vivifiant et je shoppe rue Jean Jaurès. 

Une néo-Bretonne et fière de l’être, voilà ce que je suis…

J’avais vraiment tout oublié. L’endroit où je suis née, cette place sur laquelle je suis tombée et dont la cicatrice orne encore mon menton aujourd’hui. Les lignes de métro, les lieux de rendez-vous, les rires et les larmes, l’odeur de cette ville, l’odeur de MA ville. Rien ne m’avait jamais vraiment manqué.

Et puis c’est arrivé. Lentement. Silencieusement. Une période d’introspection, une ébauche de recherche de mon vrai moi a commencé presque à mon insu. Celle qui est ancrée au fond de mon bide, ce vrai moi refoulé cherche à nouveau à s’exprimer.

Les fantômes de mon passé, les visages floutés par ma mémoire capricieuse, ces rues cent fois empruntées, l’avenue de Dunkerque, la Grand Place, la fontaine de la gare Lille Flandres, le Welsh et les carbonnades, la bière et toutes ces frites, le LOSC qui ne joue même plus à Grimonprez-Jooris.

Le pas mal assuré, le sourire hésitant, j’ai découvert cette région que je connaissais par coeur. Une touriste chez moi. 

Voilà ce que je suis.

Pendant quelque quarante-huit heures, j’ai suivi les traces de celle que j’avais été et qui dormait tranquillement au pays des Korrigans depuis bien trop longtemps. J’ai redécouvert ce que j’avais pourtant tellement regardé, j’ai ré-entendu avec joie un phrasé que je pensais détester.

Touriste chez moi, toute la beauté du Nord m’a soudain semblé si évidente. Je me suis retrouvée entourée de toute la bienveillance de ce peuple que j’avais cru si loin de mes valeurs. 

Jamais je ne me suis sentie autant exilée qu’aujourd’hui. Vraiment, on ne sort jamais indemne d’un voyage dans le passé.