Il y a quelques semaines, lorsque j’envisageais encore la rentrée au conditionnel tellement elle était loin, je me suis dit «Tiens, je vais bientôt voir mon gynéco…»
Oui,parce que je vous ai un peu menti il y a quinze jours. Je prends des résolutions à la rentrée. Chaque année, en septembre, je me dis qu’il est temps de prendre mon intimité en main et je fais ainsi ma petite visite annuelle chez mon Doc préféré.
Et tout ce qui est rare est cher, alors, j’aime bien mon rencard annuel avec LE spécialiste de la femme.
Mon gynéco connaît la femme. C’est son métier. Il sait où se trouve le clitoris (LUI), Il pense à lubrifier ses instruments (LUI), et se lave même les mains !
Lorsque j’entre dans son cabinet, j’ai l’impression qu’il n’attendait que moi. Il me sourit, me pose des questions sur ma santé bien sûr, mais aussi sur mon quotidien, mon couple, ma famille et même mon métier (il a révisé ma fiche, il sait donc ce que je fais dans la vie). Il aura oublié dans une heure, mais à ce moment précis, il m’écoute, pour de vrai. Je n’ai même pas besoin de lui renvoyer l’ascenseur en plus. Ecouter un homme… Je le fais déjà à la maison, point trop n’en faut.
Il est patient. très patient:
-Alors, c’est quoi ton mode de contraception en ce moment ?
-euh…
-Tu n’en as pas besoin ?
-Si, si. Je prends la pilule.
-Tu la prends comment?
-ben, par la bouche.
Comment lui expliquer? «En fait je la prends, mais que des fois. Du coup, je sais que je dois prendre celle du vendredi, mais il ne faut pas que j’oublie que j’en avais sauté une avant hier, que du coup, celle du mercredi, je ne sais plus si je l’ai prise…». Comme je sais parfaitement ce qu’il va dire, je réponds que je veux une ordonnance car, la dernière touche à sa fin (puisque je l’ai jetée l’autre jour sans faire exprès). Il signe, on n’en parle plus. Je crois que je ne suis pas faite pour la pilule.
Un jour, je devais être enceinte d’environ six mois, j’étais allongée dans une élégante position d’examen vaginal. Il m’a demandé si j’allais bien. Je n’avais pas l’air dans mon assiette. J’ai répondu : «je suis monstrueuse, grosse, et ce machin en métal, je ne le supporte plus. C’est quand l’accouchement?». Il m’a souri et m’a répondu que j’ avais un très beau col, que le bébé allait bien. J’ai éclaté de rire. Personne ne m’avait jamais complimenté le col avant lui !
Même avec Poids+27 kilos, il me trouve ravissante.
Quand le seul truc qui intéresse une femme enceinte c’est d’entendre parler de son bébé, il est là. Tes copines en ont ras le bol de parler vergetures et remontées acides. Leurs dernières remontées acides à elles, remontent à samedi soir, rapport à la bouteille de vodka qu’elles ont bue à l’apéro.
Et bien, lui, ton gynéco, il s’intéresse à ton inconfort urinaire et à ta constipation. Il sait bien que le bébé a bougé, il l’a senti pendant qu’il tâtait ton ventre. Ton coeur s’est mis à battre lorsque tu as vu son regard bienveillant.
Alors, ça, c’est un truc qui m’a toujours épatée chez les gens qui bossent en maternité. J’ai l’impression que le staff vit son premier accouchement. à chaque fois, tant ils éprouvent de la joie à vivre ça avec les parents. Ils ne font pas semblant, ils sont heureux d’être là. J’en suis sûre.
C’est pour cela que j’ai ressenti un choc en lisant cet article dans Ouest-France. J’apprenais que ma maternité fermait. Décision politico-économique. Pas assez rentable l’accouchement. Je me suis sentie révoltée. Bon, pas non plus «révoltée, je fais une manif», mais assez pour rédiger un tweet. Révolutionnons derrière nos écrans, c’est tellement plus sécure.
On m’a suggéré d’en faire un article. Ca m’a plutôt donné envie d’écrire à l’homme qui a mis au monde mes enfants.
Cher Doc’
J’imagine que vous devez recevoir ce genre de lettre chaque semaine. Une maman comblée sur deux, sortant fièrement de la maternité avec son bébé tout neuf doit ressentir, à juste titre, l’envie de vous dire à quel point elle est heureuse et que vous avez contribué à ce bonheur. Ca m’a traversé l’esprit après chacun de mes accouchements avec vous. Mais, la maman comblée et heureuse, une fois chez elle, va admirer sa merveille, lui donner le sein, lui laver ses petits bodys, oublier ce que le mot sommeil veut dire. Voilà pourquoi je n’ai jamais pris le temps de vous envoyer cette fameuse lettre.
Il y a quinze jours, je suis tombée sur l’article de Lucile Vanweydeveldt concernant la fermeture de la maternité de Kerjestin. Tous les sentiments de la jeune maman comblée sont venus me frapper de plein fouet.
Votre visage souriant lorsque vous m’avez tendue chacune de mes filles, rouges frippées et un peu gluantes. L’humour dont vous saviez faire preuve alors que j’attendais simplement la dilatation complète. Vous avez, dans mon coeur et dans ma tête, vécu avec moi ces moments finalement si délicieux.
Je n’ose imaginer quelle sera votre vie de gynéco lorsque vous ne pourrez plus accoucher toutes ces femmes. Mettre au monde des bébés c’est l’essence même de votre métier me semble-t-il. Quelle tristesse.
Hier soir, fatiguée, je me suis assise sur les toilettes de ma salle de bain, j’observais le désordre ambiant.Reportant à demain une ébauche de rangement, j’ai tout vu : la brosse à dents Signal rose de ma petite fille. Elle reposait, allongée et pleine de dentifrice séché à côté du gobelet prévu pour elle. J’ai baissé les yeux au pied du lavabo. Son sac thermos Winnie regorgeait de cailloux de notre allée. Les vêtements sales de sa grande soeur n’en étaient qu’à quelques encablures. J’allais râler, pester contre elles. Et là, j’ai vu mes chaussures de danse, juste sous le sac, mes bijoux de la soirée bling bling à côté du robinet. J’ai aimé me rendre compte qu’on était au moins trois à être comme moi sur cette Terre. Ca m’a rassurée.
Je sais bien que c’est le hasard qui vous a mis sur ma route Docteur. Je sais bien que nous sommes des centaines, que sais-je? Des milliers? à voir en vous une personne spéciale. Cependant, avouons-le, si ça avait été quelqu’un d’autre, ç’aurait été pareil. Les émotions, les peurs, les joies, on les aurait probablement eues telles quelles. Mais il se trouve que c’était vous, et pour cela, merci…
Docteur, la fermeture de votre service m’a fendu le coeur. Je garderai toujours en moi ces moments que vous n’ignorez plus, maintenant, avoir partagés avec moi.
Bien à vous
Héloïse.