Genre !


Derrière chaque grande femme, se cache un homme.

De temps en temps.

Un homme qui peut soutenir, caresser ou inspirer.

Quand il est dispo.

C’est à la suite d’une idée pédagogique révolutionnaire née d’une conversation avec mon binôme sentimental, que le coeur plein d’amour, je lui ai dit qu’il était ma muse.

Il a d’abord souri. Il a enclenché son clignotant, réfléchi, froncé les yeux et:

-Pourquoi une muse? Pourquoi pas un muse? 

Sa propre question l’amusait. L’idée d’être assimilé à une entité féminine ne semblait pas le déranger. Le genre féminin de la muse n’entachait en rien sa virilité.

Pourquoi pas un muse?

Sa question flottait quand même dans l’habitacle. Pourquoi était-il plus facile d’englober dans un «ils» cent filles plus un seul garçon, que d’associer une muse à l’homme qui partageait ma vie ? 

Depuis les classes élémentaires, on l’entend. Il est discret, mais bien présent :

Le masculin l’emporte sur le féminin.

-Alex, Marianne, Patricia, Laurence, Manue, Anaïs, Camille, Axelle, Appoline, Marine, Anaïs, Françoise, Amélie, Angélique, Audrey, Béatrice, Aurélie, Nadège, Barbara, Céline, Charlotte, Christelle, Claire, Coralie,  Anne-Laure et Marcel préparent Noël.

Ils sont excités !

Le français n’a pas pris la peine d’inventer un neutre. Ce «ils» est un neutre, bien-sûr. Mais ça ne s’entend pas, c’est le même mot que pour les garçons. 

Dans une classe de petits gnomes mixtes de 8 ans, il est très compliqué de prononcer cette sentence. Tout enseignant sait qu’il faut au moins dix minutes pour obtenir un retour au calme. Les garçons raillant les filles en les montrant du doigt, de larges sourires édentés aux lèvres, pendant que les filles, consensuelles, lèvent les yeux au ciel… Pour peu que la mère de l’une d’entre elles laisse traîner un Causette dans les toilettes, et là, c’est carrément l’incident diplomatique. 

Le masculin l’emporte sur le féminin

Le «They’re excited !» est beaucoup moins questionnant.

Nancy and Britney are preparing Christmas.

They’re so excited.

Aucun prof anglophone n’a jamais eu à dire à aucun de ses padawans que le masculin l’emportait sur le féminin. Ça fait une sacrée différence. Margaret, Theresa, Elizabeth ou même Agatha en savent quelque chose.

Notre langue est simplement en mal de neutre. 

Avec un neutre, «a dancer» c’est une personne qui danse. Quelque soit son sexe.

Et ça fait toute la différence. 

Personne, de mémoire d’homme, n’a jamais entendu une petite fille dire qu’elle rêvait de devenir pompière.

La fusion phonétique d’une pomme de terre et d’une soupière.

Personne n’achèterait un calendrier des pompières. 

Notre langue desservirait-elle l’égalité des sexes, conditionnant nos projections et nos représentations?

Pourquoi est-ce que dans notre imaginaire la boulangère vend-elle le pain, un joli tablier à volants noué autour de ses hanches fines, tandis que le boulanger, expert en miches, se lève à deux heures du matin, pour nous le fabriquer? Pourquoi la boulangère, on ne l’imaginerait pas en train de fesser ses pâtons pour une fois?

Notre langue, parce qu’elle sépare les genres, entretiendrait-elle inconsciemment une distinction hiérarchique entre hommes et femmes?

J’ai appris à lire et à écrire sans jamais me sentir offensée par cette règle de grammaire. J’aime à penser que je suis un auteur qui essaie d’allier la langue (n.f.) et l’esprit (n.m.). Je suis un professeur qui représente l’autorité (n.f.) et le savoir (n.m.). Je suis un parent, un citoyen, un humain. Et je tente d’incarner ces rôles neutres du mieux possible. «Incarner» n’a rien à voir avec le genre.

Une muse est une personne, une force qui fait bouger. Gala était une muse, Michèle Obama aussi de toute évidence. Mais Jean Marais l’a été pour Cocteau et Yves Saint Laurent pour Bergé (et inversement). 

Il semblerait que la plupart du temps, les muses soient parallèlement objets d’amour et de désir…

Les émotions au service de la créativité. 

Dans notre imaginaire collectif, les muses peuvent porter des couronnes de fleurs sur leur longue chevelure dorée, des lyres et des tuniques transparentes. 

Seulement, dans notre réalité, elles peuvent se balader en sweat à capuche, un ordinateur dans le sac à dos, et des rêves plein la tête. Dans notre réalité, les muses peuvent sentir la transpiration et avoir des gros bras tatoués. 

Quand ce soir, il rentrera, je lui répéterai doucement à l’oreille, d’humain à humain, qu’il est ma muse.

Et qu’il m’amuse.