Embrouille grammaticale


C’était en 1996. J’étais en seconde. Assise sur une chaise inconfortable du lycée Picasso dans le bled du Nord-Pas-De-Calais dans lequel j’ai grandi, je regardais par la fenêtre, essayant d’apercevoir ce mec de terminale qui ne m’aimait plus, et là, au milieu d’une explication de texte, mon prof de français, sans s’en apercevoir, a déclenché dans mon coeur d’ado, un amour inconditionnel pour les mots…

«Va, je ne te hais point»…

Chimène, Rodrigue et leur déchirante histoire d’amour ont totalement modifié ma perception des mots.

La litote a changé ma vie.

Cette idée que l’on puisse jouer avec les mots, en faire entendre beaucoup en en disant le moins possible a grandement séduit la jeune amoureuse que j’étais alors.

Évidemment, je n’ai jamais osé citer Chimène pour récupérer le mec en question et j’ai alors, pour un temps laissé tomber l’amour. Mais pas celui des mots.

Ne point haïr, c’était aimer… Je trouvais la formule si brillante pour embrouiller l’esprit de tout auditoire que je me suis mise à chercher des figures de style partout. Des métaphores, des anaphores, des oxymores. 

Dans les pubs, les chansons ou les livres, il y en avait partout et j’adorais ça. Mais toujours me revenait en tête cette sorte de double négation.

«Je ne te hais point»…

Facile à comprendre, passer du négatif à l’affirmatif pour énoncer clairement sa pensée. 

Brillant comme un jeu d’enfant… 

Ce n’est pas rien quand même. 

Embrouiller les gens avec des figures de style… Quel talent !

Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu besoin de l’exercice pour comprendre ce que je lisais. Je suis adulte désormais et j’ai une compréhension nettement plus fine des mots que lorsque j’avais quinze ans. Mais ces derniers jours, j’entends et ré-entends des phrases stupides résonner dans mes oreilles.

Prenons un exemple:

«La justice ne devrait pas venir perturber une élection présidentielle»…

Ces quelques mots tournaient en boucle dans ma tête. Mon esprit ne pouvait accepter le sens de cette phrase. J’ai donc convoqué la lycéenne de 1996 et ensemble, nous avons juste procédé à une légère transformation grammaticale pour être sûres d’avoir bien saisi cette nouvelle affirmation vomitive. Voici notre traduction:

L’injustice devrait venir renforcer une élection présidentielle…

Bref, cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance, et ça, vous ne pouvez pas ne pas le comprendre !