Dj B-Thov’ VS L’Orchestre National de Marseille

 

  Un dimanche après-midi, on boit une bière sur la terrasse éphémère d’un marché de créateurs avec une amie et mon binôme sentimental.

Je viens d’évoquer la bouteille de vodka qui trône dans mon frigo pour essayer de la motiver. Cette pote, c’est la meilleure pour faire des boums. Et pour concocter des coupes colonel. Avec elle, on sort toujours les cuillères en bois-micro et on massacre les morceaux de Mano Solo ou de Claude Nougaro. On reproduit également avec un succès mitigé les choré de Beyoncé ou de Britney. L’année dernière on a même fini tous les trois à bord des auto-tamponneuses de la fête foraine sur les quais. Et ça tombe bien, ils sont de nouveau là, avec leur playlist NRJ12 et leurs écrans plats qu’on ne gagne jamais. Tout est réuni pour faire de ce dimanche soir, un bon remake de Very Bad Trip. Je suis presque arrivée à l’argument- fort discutable- du « c’est presque la rentrée, tu peux pas me laisser tomber maintenant, je suis déprimée, j’ai plus que trois semaines de vacances », quand elle nous parle du concert au théâtre Max Jacob.

Un quatuor à cordes…

Un concert. De la musique classique.

Deux violons, un alto, un violoncelle…

De la musique savante. Transmise par voie écrite depuis des siècles… Je sens l’élitisme dans l’expression. J’imagine un peu le public…

Mais, heureusement, j’ai enseigné en maternelle. La musique classique, je m’y connais. Dans un blind-test, je reconnaîtrais Pierre et le loup en un quart de seconde.

En ce moment, à Quimper, se déroulent les Semaines Musicales. Un festival blindé de cheveux blancs où personne n’est bourré. Je suis sceptique. En plus, elle nous file les places, mais elle, rentre chez elle. Doublement sceptique. Mais je suis curieuse et y a rien au ciné. Allez, ce soir, je me bouscule, je pars vers l’inconnu.

– Bonne soirée ! Vous croiserez peut-être mes vieux !

Clin d’oeil, sourire, grimace. Elle s’envole.

Une fois seuls, binôme et moi, on se regarde. Son jean déchiré, son sweat à capuche, mes baskets et tous nos tatouages… Comment on s’habille pour aller à un concert de musique classique ?

Après avoir vaguement abordé la dernière paire de Salomé qui traîne encore quelque part dans ma malle à souvenirs, je me dis que je serai bien plus classe en baskets. Binôme acquiesce. On ne change rien.

Venez comme vous êtes ! Ronald Von Beethoven est quelqu’un d’ouvert. J’en suis sûre !

 

 

Arrivés devant le théâtre, je jette un oeil vers le Novomax.

Soupir… La Coreff et les cornes du diable, ce ne sera pas pour ce soir.

Les retardataires montent les marches en courant. Des chemises, deux ou trois hauts à fleurs, un cardigan, des mecs avec des chaussures pointues et des lunettes façon Marcel Pagnol…

À l’entrée, une petite fille d’à peine 7 ans porte une robe à volants. Elle nous glisse un programme dans les mains. Je lui fais une petite blague histoire de la dérider un peu. Elle lève les yeux au ciel.

La musique classique, visiblement, c’est sérieux.

J’ai envie de lui tirer la langue.

Je regarde à nouveau dans la direction du Novomax. Pas un seul tee-shirt à l’effigie de Marylin Manson en vue.

Le concert va commencer, on se dépêche, on s’installe. La salle est pleine. Sur les fauteuils rouges du Théâtre : cinquante nuances de gris.

« Je ne savais pas que c’était une soirée en noir et blanc », me souffle Binôme à l’oreille.

Je rigole. Trois personnes me font « chuuuut ».

Une jeune femme arrive. Elle porte une queue de cheval faussement négligée. Ses joues sont roses et je suis sûre que, dans son tote bag, il y a un bouquin de Flaubert. Elle est jeune. Elle est jolie. Elle sent la fleur d’oranger. Elle m’énerve.

Noir, silence.

Les quatre instruments entrent en scène, conduits par les musiciens en costume noir.

Le quatuor Léonis c’est quatre mecs d’à peu près mon âge. Ils ont été ado dans les années 90 donc. Mais que faisaient-ils quand moi je regardais Sauvé par le Gong en me gaufrant les cheveux pour ressembler à Tiffany Amber Thiessen ?

Le musicien installé à jardin – le chef de la bande, je présume – se lève et nous annonce le programme des festivités. Sa voix est claire, posée. Il connaît des mots de plus de trois syllabes, ses phrases contiennent des compléments de toutes sortes. Ça change des artistes qu’écoutent mes élèves. Tous ces chanteurs vocodés qui font des fautes d’orthographe, même à l’oral…

« Nous commencerons par Beethoven, père du quatuor à cordes s’il en est… Après un début énergique, vous constaterez que le second mouvement est bien plus mélancolique. C’est pourquoi Debussy et ses pizzicato viendront ensuite redynamiser l’ambiance avec son unique composition pour quatuor à cordes. »

Je repense aux Charrues, il y a trois semaines. J’imagine Akhénaton, débarquer sur scène et nous dérouler l’enchainement de son set avant de commencer.

« Ouais, ouais… Bonsoir Carhaix ! Ce soir, pour vous, après une intro par l’école du micro d’argent, ponctué par les scratch de Cut Killer, on ira prendre des nouvelles de Petit Frère, on enchainera avec monnaie de singe », puis, après un tour de passe-passe,  on ira claquer la bise aux Badboys de Marseille avant de finir du coté obscur… »

 

Je souris.

Autre lieu, autres personnes, autres codes.

J’ai l’impression d’être au cinéma. Je me redresse sur mon siège.

Je suis ailleurs.

Je suis plutôt bien.

D’un regard, les musiciens se lancent. Parfaitement ensemble. J’assiste alors, troublée, à une conversation entre instruments. Les mains des quatre hommes leur donnent vie, exactement comme le feraient des marionnettistes. L’alto chahute tandis que les violons pleurent. Le violoncelle, comme un père bedonnant, leur intime l’ordre d’arrêter leurs jérémiades… Les visages des musiciens s’agitent, respirent, vivent, parlent.

L’assemblée, immobile, retient son souffle. C’est tellement beau… J’en pleurerais presque. Mon esprit s’envole. J’attrape la main de binôme. Je le regarde. Il est beau. Ça lui va bien la musique classique. Je suis Julia Roberts, il est Richard Gere. Il se penche vers moi. Je ferme les yeux. Je sens son souffle dans ma nuque. Il n’y a que la musique et nous. Il va m’embrasser et me dire qu’il m’aime. C’est le moment.
Je me penche vers lui, lui sourit tendrement. Il ressent la même chose, c’est tellement évident, il s’approche de mon oreille et me chuchote doucement :

Ça me rappelle toujours un peu Tom et Jerry ces concerto…

Je m’esclaffe discrètement.

Chuuuuuut !

Légèrement vexée, je me rassois correctement. Un peu de respect. Il s’agit là de musique savante.

De la musique savante sans aucun doute. Élitiste probablement. J’ai l’impression de faire une soirée avec mon grand oncle, ma prof de musique du collège, quelques chefs d’entreprise à la retraite et une poignée d’élèves des lycées les plus huppés de la ville. J’en suis à me demander combien d’entre eux sont allés à la messe le matin même.

C’est méchant. Jugeant. Plein de clichés.

Je porte sur l’auditoire le regard que je voulais éviter à mon encontre. Je suis en train de mettre des gens dans des cases.

Je suis naze.

Noir – Applaudissements – fin

Un rappel. Puis un autre. Le public est déchaîné. (enfin, toute proportion gardée, hein 😉 )

Une effluve de fleur d’oranger… Je regarde la jeune retardataire au tote bag. Elle semble tellement plus mature que moi. Son programme tombe, elle se baisse pour le ramasser, regarde au loin. Elle enlace son compagnon.

Un sourire…

Deux rangs devant eux, deux mamies endimanchées applaudissent en riant.

Un ado et son père échangent leurs impressions. Ils viennent de partager le même moment.

Ils me rappellent Binôme et son fils, trois semaines plus tôt, juste après le concert d’Orelsan.

 

Je crois que je n’avais pas les bases.

Musique populaire. Musique savante.

Pas de comparaison, pas de hiérarchie.

Simple. Musique !

 

 

 

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