Je ne me souviens plus vraiment comment cette histoire a commencé.
Je me rappelle la chronologie des évènements avec toute leur part d’objectivité bien-sûr. Je pourrais tracer une frise du temps relativement fidèle à l’histoire. Les lieux sont intacts, le contexte aussi, les images parfaitement nettes dans ma mémoire. Son allure, son sourire, mes réponses pompeuses aux questions banales pour faire mon intéressante. Mais il me manque la subjectivité. Comment de la première seconde où rien n’existait encore, le fil si solide a pu se tisser malgré nous ? Il me manque l’invisible. La chronologie des émotions me fait défaut. A quel moment me suis-je mise à l’envisager, lui, et pas un autre ? Quand et pourquoi ? Quel est l’instant qui a déclenché tous les autres ?
Cette partie là m’échappe. Je ne me souviens plus vraiment comment cette histoire a commencé.
C’était il y a douze ans. C’est long douze ans.
Je ne me rappelle plus comment parfois, en douze ans, l’histoire aurait pu s’écrouler. Son allure que j’ai, de temps en temps oubliée, son sourire qui ne me faisait plus vibrer, les réponses maladroites aux questions essentielles. Comment, de la passion et de l’envie, naissent le besoin et l’habitude ?
Je ne me rappelle que des murs. Des murets faciles à enjamber, des clôtures fragiles qu’il nous a suffit de pousser, et ces barricades ancrées si profondément qu’il nous a fallu faire preuve de génie pour les détourner.
Accepter de voir l’autre tel qu’il est quand les premiers mois d’émois appartiennent au passé et qu’on arrête de faire semblant d’être parfait. L’haleine du matin, les tics insupportables, les mauvais goûts.
Traverser les vrais problèmes ; l’argent qui fait défaut, cet ange qu’on accompagne ensemble au Paradis, les petites lâchetés et la routine. Insidieuse, discrète, mauvaise lorsqu’elle n’est pas consensuelle, lorsqu’elle est simplement un témoin de l’ennui.
La vie à deux est remplie de murs qu’il faut savoir abattre, les uns après les autres.
L’autre jour, alors qu’il venait de me passer son petit coup de fil du midi, je me suis dit qu’un mur pouvait, si on le désirait vraiment, devenir un support et plus un obstacle à franchir. Le comprendre m’a littéralement transformée. Toutes nos larmes, nos colères et nos reproches, toutes les fleurs offertes, les pardons, les fièvres, toutes les mauvaises pensées, toutes les trahisons, toutes ces pierres, posées à la sueur de notre coeur, je les vois, sous un jour nouveau. Les murs que nous avons abattus avec tant de courage sont devenus aujourd’hui, les fondations de notre histoire.
Je me souviens parfaitement comment cette histoire a commencé. On s’est reconnus. On a su, qu’ensemble, nous serions des survivants du temps, des croisés en lutte contre la routine. Nous serions des démolisseurs de murs.